Le concept « d’attention flottante » en psychologie du consommateur

Romain Cally
Docteur en Sciences de Gestion | Psychologie du consommateur
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Même lorsque nous n’y prêtons pas (ou peu) d’attention, les publicités qui nous entourent sont susceptibles d’être inconsciemment mémorisées par notre cerveau. Cette mémorisation « non-consciente » [1] aurait tendance à se produire dans un contexte « d’attention flottante ».

Qu’est-ce que « l’attention flottante » ?

En psychanalyse, c’est la règle technique selon laquelle un analyste doit prêter la même attention à tout ce que dit l’analysé, sans attacher d’importance particulière à un détail de préférence à un autre.

Ce concept a été théorisé par S. Freud lui- même :

« (…) nous ne devons attacher d’importance particulière à rien de ce que nous entendons et il convient que nous prêtions à tout la même attention «flottante», suivant l’expression que j’ai adoptée. On économise ainsi un effort d’attention qu’on ne saurait maintenir quotidiennement des heures durant l’on échappe ainsi au danger inséparable de toute attention voulue, celui de choisir parmi les matériaux fournis. C’est en effet ce qui arrive quand on fixe à dessein son attention; l’analyste grave en sa mémoire tel point qui le frappe, en élimine tel autre et ce choix est dicté par des expectative ou des tendances. C’est justement ce qu’il faut éviter ; en conformant son choix à son expectative, on court le risque de ne trouver que ce que l’on savait d’avance. En obéissant à ses propres inclinations, le praticien falsifie tout ce qui lui est offert .»

Aussi l’adjectif « flottante », ici, ne suggère ni évasion, ni somnolence, ni indécision, ni indifférence, ni hésitation. Mais, caractérise, pour ainsi dire, la fluidité, la souplesse, la mobilité d’une écoute qui se laisse porter par le discours de l’analysé. Cette attention consiste en une suspension aussi complète que possible de tout ce qui focalise habituellement l’attention : inclinations personnelles, préjugés, présupposés théoriques même les mieux fondés. Pour Freud, ce sont ces « tentations » logiques et/ou affectives, ou présupposés théoriques de l’analyste qui le poussent à privilégier certains éléments, alors que ce sont souvent ceux qui apparaissent comme les plus insignifiants qui peuvent avoir la plus grande importance dans la cure analytique.

« L’attention flottante » en psychologie du consommateur

L’attention flottante en psychologie du consommateur est très différente de celle développée en psychanalyse. Elle fait référence à la manière dont le consommateur observe la publicité. En effet, on ne regarde pas un spot publicitaire à la télévision comme on le ferait pour le dernier « Star Wars » au cinéma. En général, le regard d’un individu porté sur les publicités est (très) souvent irrégulier, distrait, irréfléchi, entrecoupé d’une série d’autres regards, portés vers d’autres endroits et sur d’autres objets. Pour qu’une publicité soit perçue consciemment et mémorisée de telle façon à ce que l’on s’en rappelle, il est nécessaire qu’elle entre dans notre champ attentionnel. Mais, la plupart des publicités auxquelles nous sommes exposés quotidiennement n’ont pas accès à ce champ « attentionnel » en question (c’est le cas, nous le verrons plus loin, des « publicités ambiantes »). En fait, face à la surabondance des messages publicitaires, le consommateur, le plus souvent, met en place des stratégies de perception et de traitements sélectifs qui le conduisent à n’allouer qu’une attention (très) faible à la publicité, qui dans une majorité des cas, l’intéresse pas ou peu. La plupart des publicités diffusées à la télévision (et sur Internet) sont ainsi regardées avec une « attention flottante ».

Comme le souligne l’auteur Citton, l’attention flottante « ce n’est ni l’alerte, ni le sommeil ; ni la connexion, ni la déconnexion absolue ; c’est un troisième mode en quelque sorte : je regarde ce qui se passe, mais avec une certaine distance, un certain flottement ». En fait, l’observation des publicités est caractérisée par une absence de focalisation. L’attention est donc « flottante » car non focalisée, faible. Elle « flotte dans l’air » pour ainsi dire, jusqu’à ce qu’un élément, une chose, une action « l’attire » franchement.

Toutefois, l’existence même d’une mémoire non-consciente suggère que l’attention d’un individu peut se « poser », à son insu, sur des objets, des évènements, des pensées et donc, sur des publicités. Ainsi, même lorsque notre regard n’est pas focalisé sur les publicités divulguées à la télévision ou sur Internet : le cerveau peut les percevoir et peut en mémoriser certains aspects sans que le sujet s’en rende compte (cf. Courbet et collègues, 2014). Même si cela semble étonnant, à première vue, ce type de situation est assez habituel : que nous soyons dans la rue, dans un magasin, face à un écran d’ordinateur ou de télévision, nous percevons une multitude d’informations publicitaires/promotionnelles dans notre champ visuel périphérique et ces dernières peuvent être inconsciemment mémorisées (et spontanément rappelées en situation d’achat).

Les publicités « ambiantes »

Les publicités sont, à la base, censées être retenues consciemment par le consommateur, mais certaines d’entre elles, alors qu’elles sont supposées « attirer » l’attention, se fondent littéralement dans son décor ou son environnement : ce sont les « publicités ambiantes » (cf. Vanhuele, 1999). Ces dernières sont assez banales, peu attractives, voire inintéressantes et traversent le champ visuel (et/ou auditif) d’un consommateur sans même attirer le regard et l’attention. La particularité de ces publicités, c’est qu’elles peuvent être mémorisées à l’insu du consommateur.

Spectateurs regardant une rencontre sportive

Prenons un exemple : imaginez que vous regardez un match de rugby à la télévision avec des amis. Pendant la mi-temps, arrive comme il est coutume, une série de spots publicitaires. Vous baissez alors le son de la télévision pour pouvoir discuter avec vos amis sans être parasité par le bruit de la télévision. Vous ne prêtez pas spécialement attention aux publicités qui défilent. Toutefois, vous parlez avec vos amis tout en gardant un œil sur la télévision pour ne pas rater le début de la seconde mi-temps. Votre attention devient donc « flottante », car elle n’est plus focalisée sur ce qui passe sur l’écran. Soudain, une des publicités attire votre regard: c’est donc votre mémoire consciente qui se chargera alors de son souvenir. Mais le plus étonnant, c’est que toutes les publicités qui auront composé la série de spots publicitaires ne seront pas pour autant perdues. Elles seront plus ou moins bien encodées en mémoire non-consciente (encore appelée « mémoire implicite »). Par la suite, lorsque vous reverrez une des publicités de la série publicitaire, vous pourrez avoir une impression de « déjà-vu » car votre mémoire non-consciente en aura gardé une trace et tout cela s’est réalisé à votre insu et par le biais d’une « attention flottante ». Cette sensation de « déjà-vu » est un premier pas important pour le « marketer », car elle représente un signe de familiarité.

En conclusion, en psychologie du consommateur, on dira que l’attention est « flottante » lorsque le consommateur perçoit les publicités avec une certaine distance, un certain « flottement ». L’attention allouée aux publicités est (très) faible, diffuse et surtout non focalisée. Le regard passe ainsi d’une cible à une autre, sans s’y fixer vraiment et l’intérêt de l’individu pour la publicité est absent.

Références

[1] Il s’agit d’une forme de mémoire où l’on ne retient pas l’expérience qui en est à l’origine, l’acquisition d’un souvenir dans la mémoire implicite se faisant à notre insu et le rappel du souvenir encodé en question, dans la mémoire implicite se faisant automatiquement.

Références bibliographiques

CITTON, Y. (2014) : Pour une écologie de l’attention. Éd. Seuil, la Couleur des idées, 304 p.
COURBET, D. ; FOURQUET-COURBET, M. et INTARTAGLIA, J. (2014) : « L’empreinte inconsciente des publicités ». Cerveau & Psycho, Nº 65 septembre-octobre.
FREUD, S. : « Conseils au médecin dans le traitement psychanalytique », dans La technique psychanalytique. PUF, 3e édition, Collection Quadrige, 168 p.
VANHUELE M. (1999) : « Les effets de la publicité ambiante ». Les Echos, supplément L’Art du Marketing, 21-22 mai.