Psychologie du consommateur | L’utilisation de l’humour dans la publicité

Romain CALLY
Docteur en Sciences de Gestion | Psychologie du consommateur
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Introduction

L’humour est quelque chose que l’on reconnait facilement, mais qui n’est pas simple ou facile à définir. Selon le dictionnaire Larousse, l’humour est une « forme d’esprit qui s’attache à souligner le caractère comique, ridicule, absurde ou insolite de certains aspects de la réalité ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’humour est un élément important de communication de la publicité dans de nombreux pays et peut s’avérer être un excellent levier pour améliorer potentiellement l’image d’une marque (ou d’une entreprise). C’est, aujourd’hui, une composante incontournable de la stratégie marketing. Selon un article publié par Toncar en 2001, la proportion des publicités internationales à caractère humoristique pouvait représenter jusqu’à 50 % des campagnes. On parle d’ailleurs, de plus en plus, de « marketing du rire », de « marketing de l’humour » ou encore, de « content marketing », pour souligner l’importance de l’humour dans la publicité.

Sur certains supports (comme les réseaux sociaux), manier l’humour est presque devenu l’un des moyens privilégiés par les marketers pour promouvoir une marque. Ces derniers n’hésitent pas à en faire usage pour quasiment tout type de produits, que ce soit des vêtements, des aliments, des voitures, des burgers, des sites de pari en ligne, des locations de voiture, des livraisons de repas à domicile, etc. Cela, en grande partie, parce que l’humour possède un registre universel, ce qui fait qu’elle peut passer les frontières et toucher plus aisément et globalement les consommateurs.

Les psychologues s’accordent globalement sur l’idée que « rire fait du bien ». La publicité humoristique fait « du bien », car elle génère une émotion (bien plus qu’un raisonnement) et vise la connivence du consommateur, cela afin de produire un effet cathartique, une libération, qui brise momentanément le « sérieux » du monde réel.

L’antipathie des consommateurs par rapport à la publicité

Les consommateurs sont submergés de messages publicitaires à longueur de journée, ce qui fait qu’ils ont développé une certaine antipathie voire une réelle aversion envers la publicité. Aujourd’hui, pour qu’un consommateur accepte de visionner en intégralité une publicité, celle-ci doit maintenant sortir de l’ordinaire et faire preuve d’originalité. Il est prouvé qu’une publicité humoristique a plus d’impact sur le consommateur qu’une « publicité standard », cela parce qu’il est difficile de ne pas apprécier ce qui est drôle ou hilarant. En fait, Les marketers ont bien cerné la nécessité de distraire le public pour améliorer leur visibilité sur le marché, augmenter leur notoriété et in fine, vendre.

Cependant, l’humour, est un procédé à la fois intéressant et risqué, puisqu’il donne un « ton » et dévoile un « spectacle » auquel le public doit adhérer, sans quoi la communication publicitaire perd en impact et donc, en efficacité.

L’humour et son influence sur le comportement d’achat

Il semble évident qu’une publicité purement humoristique ne pourra pas convaincre un consommateur, ni par la force, ni par la qualité de ses arguments développés. Par contre, elle pourrait affecter les perceptions des consommateurs en raison de sa légèreté, de son insolence, de sa drôlerie et in fine, positiver l’image de la marque promue. Grâce à des campagnes jouant sur le créneau de l’humour, une marque perçue comme « démodée » pourrait paraitre, par la suite, plus « cool », « jeune », «ouverte », « lucide », dans l’esprit des consommateurs.

Maintenant, à la question : est-ce que l’humour fait vendre ? L’effet direct de l’humour sur le comportement d’achat est très partagé parmi les chercheurs. L’humour permet effectivement d’attirer l’attention (ce qui est le but premier d’une publicité) et d’améliorer la perception de l’annonce, mais rien ne permet de certifier qu’il entraîne une meilleure compréhension du message publicitaire ou qu’il influence directement le comportement d’achat. Selon nous, l’humour dans la publicité doit surtout être vu comme un « outil » d’aide à la vente, un élément permettant de faire basculer un choix du bon côté, plutôt que comme un véritable critère d’achat. L’humour à lui seul, ne suffit pas à convaincre psychologiquement un individu d’acheter.

Dans la majorité des cas, le contexte et l’engouement des consommateurs sont également des conditions nécessaires pour accentuer l’impact de la publicité humoristique. Lorsqu’une publicité fait un « buzz marketing » sur le Web, le « rire » généré par la publicité devient communicatif, contagieux et expansif, c’est précisément cet intérêt populaire soudain qui influencerait l’intention d’achat (Zhang et Zinkhan, 20006). En augmentant sa popularité, la publicité a augmenté également le potentiel de vente du produit.

L’humour, une stratégie publicitaire risquée ?

La stratégie de communication par l’humour n’est pas adaptée pour toutes les marques. Si pour certains types de produits, il est adéquat de jouer sur l’humour (Les produits qui se prêtent davantage à l’humour sont souvent des produits alimentaires, des vêtements, des accessoires, des sites internet, locations de voitures, etc), pour d’autres, il est inopportun, voire carrément risqué d’user d’une telle stratégie publicitaire. C’est le cas par exemple des marques de luxe ou des produits liés à la santé, lesquels doivent garder un certain prestige, une certaine réputation, un « sérieux », peu compatible avec une publicité humoristique. L’humour par la drôlerie, la dérision ou encore le ridicule, pourraient entacher, plus ou moins durablement, l’image de ces marques et entreprises.

Globalement, pour les marketers utiliser l’humour dans la publicité possède quatre avantages:

  1. Premièrement, son utilisation peut permettre une différenciation du produit (ou de la marque) vis à vis de ceux de la concurrence. En fait, la publicité humoristique permettrait d’attirer davantage l’attention du consommateur. Attirer l’attention, c’est être visible sur le marché, obtenir davantage de notoriété et surtout de popularité. Des conditions indispensables pour générer des ventes. Un article publié par Cline et Kellaris en 1999 rapporte les résultats d’une enquête américaine réalisée auprès de professionnels de la publicité aux États-Unis : 94 % d’entre eux estiment que l’humour permet d’attirer l’attention des consommateurs.

  2. Deuxièmement, l’humour facilite la mémorisation de la publicité par le consommateur. On a plus tendance, à se rappeler d’une publicité « drôle », qu’une publicité « sérieuse ». Elle se mémorise plus rapidement et son rappel en mémoire est plus aisé.

  3. Troisièmement, l’humour, permet dans certains cas, de se donner une image « sympathique » voire « cool » de la marque auprès des consommateurs. Elle peut, susciter des réactions positives qui vont renforcer l’image de marque perçue par les individus. Au niveau psychologique, le « rire » est un libérateur de tensions et a un effet positif sur notre comportement. Une certaine connivence avec le consommateur peut alors se créer, sur laquelle peut se construire à terme une fidélisation.

  4. Enfin, quatrièmement, l’achat est le but recherché par les marketers. Mais, il est important de rappeler que l’achat, est une incidence de la publicité (qu’elle soit humoristique ou non). L’humour peut aider à la vente, mais n’est pas l’élément déclencheur de l’achat.

Finalement, le mécanisme peut se résumer de la manière suivante : on voit la publicité humoristique, elle nous fait rire, on s’en souvient, on en parle autour de nous, et parfois on achète le produit.

Les consommateurs et l’humour dans la publicité

L’une des particularités de l’humour en publicité, c’est qu’il s’adresse à un public de tout âge, de manière similaire et simultanée. Par conséquent, il est logique que certains consommateurs soient plus sensibles que d’autres à l’humour. Qu’est-ce qui explique qu’une publicité humoristique peut faire rire une personne et laisser indifférente une autre ? Plusieurs recherches ont montré que les caractéristiques individuelles jouent un rôle clé dans l’affaire. On peut citer, entre autres, les attitudes initiales des consommateurs, le niveau d’implication, la personnalité, le self-monitoring [1], le besoin de cognition, la résistance du consommateur à la publicité, etc. Par exemple, il a été prouvé que lorsque l’attitude initiale d’un individu est favorable à la marque, l’utilisation de l’humour dans une publicité mène à une meilleure évaluation de la publicité et impacterait positivement les intentions d’achat. Ou encore, que les individus à haut besoin de cognition sont très peu influencés par l’humour dans la publicité, contrairement aux sujets à bas besoin de cognition. Enfin, on ne peut nier que certaines personnes plus exposées à l’humour depuis leur enfance, deviennent par la suite plus sensible que d’autres. Ce qui peut laisser penser à une phase d’apprentissage et de transmission provenant des parents et plus globalement, de l’entourage.

Y a-t-il déjà eu des cas où l’humour faisait perdre la crédibilité d’une marque ?

Un certain nombre de recherches s’accordent sur trois types d’humour en publicité (cf. Lopez-Diaz, 2006), à savoir : l’humour ludique, la plus utilisée par les marketers, qui prend l’apparence globale d’une plaisanterie plutôt perçue comme légère, amusante, irrationnelle, comique et qui offre au consommateur un moyen simple de se « libérer » momentanément du poids des normes et règles imposées. Elle vise à produire un état émotionnel simple de détente et de plaisir. Il se différencie de l’humour cynique et critique.

L’humour cynique doit absolument être utilisé avec précaution, car elle prend l’apparence d’une « provocation déguisée ». Et dans certains cas, elle peut mener maladroitement à un « bad buzz ». On peut citer, par exemple, en Belgique, la publicité ratée pour les « Bicky Burger ». Laquelle avait provoqué une polémique et la colère des internautes sur les réseaux sociaux. La publicité qui se voulait humoristique a été très mal perçue par le public. La publicité a provoqué un tollé car elle semble prendre les violences conjugales à la rigolade. Il faut dire qu’on y voit un homme, frapper une femme violemment en plein visage car celle-ci ne lui propose pas un « vrai » Bicky Burger.

Quant à l’humour critique, elle prend l’apparence d’une « accusation déguisée ». Dans ce genre de publicité, l’humour est orienté pour critiquer un ordre établi, une pensée collective, voire dogmatique et cela dans le but de partager des « valeurs nouvelles ». On peut citer ici en exemple, les publicités de « LG Electronics Inc » en 2004, qui s’était lancé dans la bataille pour la parité des tâches ménagères dans le foyer. Son slogan phare était : « Un petit pas pour l’homme, un bond pour sa femme » et les publicités montraient des hommes réaliser des tâches ménagères à la place des femmes. La campagne avait connu un certain succès, car elle avait su marquer les esprits.

Quand on vise des sujets osés ou sensibles dans la publicité, on a tendance à flirter avec la provocation ou l’accusation, on cherche à choquer ou à faire réagir les consommateurs. Pourtant, choquer pour choquer est une stratégie risquée : « Bicky Burger » en est un exemple révélateur. L’hyper-socialisation accentuée par les réseaux sociaux et le téléphone portable, pousse les individus à donner davantage leur avis et à prendre position sur tout. Aussi, les publicités ne sont plus circonscrites à leur cible initiale et ce qui peut faire rire votre public peut en offenser d’autres, voire littéralement choquer. Sans compter que sur les réseaux sociaux, les critiques se transforment rapidement en « bad buzz » et, par effet boule de neige, en appel direct au boycott de marques.

Conclusion

Il est important de souligner que l’humour, s’il est bien conduit, permet presque tout. Il transforme le sérieux des choses en un spectacle comique et amusant. Il n’est pas nécessaire qu’une publicité humoristique fasse littéralement « rire » pour qu’elle soit réussie, mais elle doit assurément divertir, distraire et donc, procurer du plaisir aux consommateurs.

Toutefois, il y a un risque que le destinataire d’un message publicitaire humoristique retienne l’humour, mais oublie quel produit (ou marque) celui-ci était censé promouvoir : il y aurait alors une sorte de « cannibalisation » par le message humoristique. Dans cette situation, le public ne retient que le côté humoristique, mais ne le relie pas systématiquement au produit ou à la marque. Par conséquent, l’efficacité de la campagne en serait lourdement affectée, la publicité quelque part « volerait la vedette » à la marque.

Par ailleurs, de très nombreuses études montrent que l’humour permet réellement de capter l’attention et d’améliorer l’attrait de l’annonce en augmentant sa popularité. Mais, peu d’entre elles affirment qu’utiliser l’humour en publicité entraîne une meilleure compréhension du message publicitaire. Cela s’explique du fait que les consommateurs sont de plus en plus résistants à la publicité, ils peuvent aisément dissocier l’humour de la publicité et le message publicitaire et les traiter de manière séparée. Ce qui explique qu’un consommateur peut apprécier une publicité, la « liker », la partager sur les réseaux sociaux, converser dessus avec son entourage, sans pour autant que cela influence ses choix d’achat.

Références

[1] C’est la capacité de contrôler son comportement expressif.

Références bibliographiques

CLINE T. W.; KELLARIS J. J. (1999): « The joint impact of humor and argument strength in a print advertising context : a case for weaker arguments », Psychology and Marketing, 16(1), pp. 69-86.
LÓPEZ DÍAZ, M. « Des « Humours » du Discours Publicitaire », Questions de communication [En ligne], 10 | 2006, mis en ligne le 01 décembre 2006, consulté le 04 mai 2019.
TONCAR, M. F. (2001): “The Use of c in Television Advertising: Revisiting the US-UK Comparison”, International Journal of Advertising 20,4 (2001): 521-539.
ZHANG, Y., & ZINKHAN, G. M. (2006): “Responses to humorous ads: Does audience involvement matter?” Journal of Advertising, 35(4), 113-127.