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Introduction à une sociolinguistique de l’action : traitement inférentiel des réalités

Gwenolé Fortin
MCF 71ème section. Laboratoire LEMNA, Université de Nantes (France)
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Résumé

Ce texte s’inscrit dans le cadre d’un programme de recherche transdisciplinaire en SIC et en sciences cognitives. Il a pour objectif de montrer comment les individus humains construisent les réalités sociales en les interprétant en fonction des contextes (principe inférentiel). En s’appuyant sur des expériences issues de la psychologie sociale et/ou cognitive, il s’agit de montrer comment le langage, dans le cadre épistémologique d’une sociolinguistique de l’action, conditionne nos représentations de la réalité, et combien nous voyons ce que nous croyons.

Mots clés : langage, réalité, inférences, représentation, sens.

Abstract

This text is part of a cross-disciplinary research programme in ICS and cognitive sciences. It aims at showing how human beings build social realities by interpreting them according to context (inferential process). By relying on experiments stemming from social and/or cognitive psychology, the objective is to show how language, in the epistemological framework of an Action sociolinguistics, determines our representation of reality and to what extent we see what we believe in.

Key words : language, reality, inferences, representation, meaning.

« Tout étudiant qui a jamais attendu un coup de fil dans son dortoir un vendredi soir sait combien un téléphone silencieux peut être bruyant. »

(Birdwhistell, 1996, p. 70)

« La réalité n’est jamais donnée, elle est toujours, d’une certaine manière, inventée. »

(Watzlawick, 1996, p. 5)


1. Introduction

Si l’on pense communément que les mots sont des étiquettes posées sur le réel, l’épistémologie constructiviste en sciences du langage et en SIC pose plutôt que le langage construit le réel. Le locuteur – porteur de savoirs (organisés en systèmes de représentations) et de savoirs-faire (compétences linguistiques et situationnelles) co-construit avec les autres interlocuteurs des représentations de la réalité, un univers référentiel commun de significations partagées qui produit du sens.
L’approche constructiviste repose sur l’idée que notre image de la réalité, ou les notions structurant cette image, sont le produit de l’activité cognitive humaine en interaction avec cette même réalité, et non le reflet exact de la réalité elle-même. Elle suppose que les connaissances de chaque sujet ne sont pas une simple « copie » de la réalité, mais une « (re)construction » de celle-ci (Watzlawick, 1996), s’attachant à étudier les mécanismes et processus permettant la construction de la réalité chez les sujets à partir d’éléments déjà intégrés que le sujet restructure ou reconceptualise, en interne (Piaget, 1970).

Dans le cadre de ce qu’on pourrait appeler une sociolinguistique de l’action, le langage est pensé comme un moyen de produire du sens. Le langage en effet ne transmet pas seulement des savoirs ou des informations, mais il produit aussi des volontés – ou pour reprendre la terminologie d’Austin, il performe le monde (Austin, 1970).

La communication est un processus dialectique de co-construction de la réalité : celle-ci n’est plus une donnée qui serait décodée, traduite, véhiculée ou transportée par le langage (« métaphore du conduit ») mais elle se négocie et se renouvelle par des transactions sémantiques que les individus actualisent dans leurs interactions : « Les humains communiquent […] pour modifier et élargir l’environnement cognitif mutuel qu’ils partagent entre eux » (Ghiglione et Trognon, 1993, p.102-103).

Les pratiques discursives ne sont donc ni entièrement dépendantes ni indépendantes de leur contexte de production, mais elles construisent les contextes en même temps qu’elles les manifestent. Le langage n’est donc pas un code permettant de traduire, ou de transcrire le réel, mais ce qui permet de co-construire, dans et par l’interaction socio-langagière, des représentations de la réalité.

L’objet de notre article est de montrer comment cette construction procède d’une catégorisation du réel, liée à une sélection et à une interprétation de ce que nos organes sensoriels nous renvoient comme percepts [1] ; sélection et interprétation qui dépendent tout à la fois des contextes (socio-langagiers ou socio-culturels) et de nos attentes fondées sur ces mêmes contextes. L’individu, sur la base d’hypothèses interprétatives (inférences), construit des représentations de la réalité dont le sens est immanent aux contextes dans lesquels elle fait sens.

2. Notre perception de la réalité : une illusion construite par le cerveau

Depuis les sciences du comportement jusqu’aux sciences du langage, en passant par les sciences cognitives, les travaux en sciences de l’Homme montrent que l’être humain ne traite pas l’information, c’est-à-dire « la réalité », sans que celle-ci soit altérée, subjectivement réinterprétée (Delorme et Flückiger, 2003). Nous construisons le monde alors que nous pensons le percevoir : ce que nous appelons « réalité » est une interprétation, le résultat d’une construction (Watzlawick, 1996). Aussi, « de toutes les illusions, la plus périlleuse consiste à penser qu’il n’existe qu’une seule réalité » (Watzlawick, 1978, p. 7).

Les expériences menées en neurosciences (Fiori, 2006 ; Purves , 2005) confirment que le cerveau humain ne fournit pas une photographie du monde « extérieur » mais que sa « réalité » est le produit d’opérations cognitives complexes et que l’être humain, au même titre que les autres animaux, vit dans un monde qui lui est propre : celui de ses perceptions. [2] Il n’est pas en mesure, par exemple, de percevoir les ultrasons, le champ magnétique terrestre ou les champs électriques, à la différence des chauves-souris, des abeilles ou des serpents. Il est tout autant incapable de percevoir la température d’un objet. Aussi, toutes ces « composantes » de la réalité ne font tout simplement pas partie de « sa » réalité. Autrement dit, celle-ci est déjà, d’une certaine manière, « filtrée » par son appareillage physiologique ou biologique (systèmes visuels et auditifs, récepteurs olfactifs, sens kinesthésique, etc.).

Le cerveau humain reconstruit en permanence les informations, il est conditionné biologiquement à interpréter continuellement la réalité d’une certaine façon, c’est-à-dire à traiter les informations du monde réel en fonction de son système sensoriel. En d’autres termes, la réalité est sa réalité, une illusion construite par le cerveau et qui fait sens à l’échelle humaine.

3. Cadre théorique

Les grands courants théoriques sur la perception humaine – théorie de la Gestalt, théorie constructiviste de Piaget, théorie transactionnaliste d’Ames, théorie psychophysique de Gibson, théorie cognitive de Neisser – se sont tous confrontés aux « illusions perceptives », les envisageant comme la résultante de processus interprétatifs en relation de cohérence avec une expérience préalable du monde. Ces processus, organisant les informations sensorielles pour les rendre « cohérentes », sont appelés processus d’organisation perceptuelle (Rock, 2001). Et l’identification perceptuelle, nous allons le voir, dépend aussi de nos « attentes », tout autant que des propriétés physiques intrinsèques des objets ou des situations auxquelles nous sommes confrontés. Ainsi, selon Piaget, les illusions perceptives ne sont pas des exceptions à ce que serait une perception « normale » de la réalité : elles sont la manifestation de notre système de perception, illustrant la façon dont l’être humain structure ses champs perceptifs.

Pour la linguistique informationnelle (fondée sur la « métaphore du conduit  et relevant d’une linguistique immanentiste héritée des premières philosophies du langage), le langage dit le monde, il ne le crée pas – ou alors seulement sur le plan symbolique : le langage y est fondamentalement informationnel, c’est-à-dire qu’il transporte l’information de ce sur quoi il porte et qu’il dédouble (c’est le modèle du code : schéma Emetteur-Récepteur (Shannon et Weaver, 1949).

Avec l’approche constructiviste, la situation de communication procède d’une construction et n’est donc plus une donne statique – en rupture avec le paradigme classique (Ghiglione et Trognon, 1993).

Ces travaux ont ainsi permis de dépasser la linguistique informationnelle pour ouvrir à ce que nous avons appelé une sociolinguistique de l’action, dans laquelle le langage est envisagé comme un instrument de l’invention/négociation du monde : le monde n’est pas naturel, ou déjà là (vs. social ou symbolique) mais il advient, c’est-à-dire qu’il est à construire en permanence par le biais du langage.

4. Des inférences induites par les contextes

Le traitement neuronal d’une image visuelle par exemple (Hubel, 1994), en passant par le cortex visuel primaire, produit des opérations cognitives consistant à dériver une interprétation issue d’une observation préalable et tenue pour vraie (inférence). Dans la figure de Kanizsa (Gregory, 1997) proposée ci-dessous, le cerveau « prolonge », c’est-à-dire infère les segments graphiques de façon à construire/produire du sens, complétant ainsi spontanément la figure « suggérée » (un cube). Notre cerveau prolonge les segments graphiques hors des cercles noirs, sélectionnant les informations reconnues comme étant les plus pertinentes au regard du contexte graphique global proposé.

Nous verrons, notamment à travers les expériences de Condry ou Plassman, que le processus cognitif est de même nature pour les situations sociales. Autrement dit, nous n’avons pas accès à la réalité des objets ou des situations, mais nous posons des hypothèses interprétatives, traitant les informations comme compléments hypothétiques d’une « réalité » construite sur la base de l’expérience acquise – que ce soit pour voir un cube, ou n’importe quelle réalité plus complexe, communicationnelle/sociale.

Notre perception de la réalité est très éloignée de la photographie. Elle est à la fois le produit de la stimulation des photorécepteurs rétiniens et le résultat d’une construction mentale, à partir des messages nerveux reçus par le cerveau qui cherche à « produire du sens ». Ce n’est donc pas tant l’environnement qui agit sur l’individu mais ce dernier qui organise et structure son environnement perceptif. Le rapport individu/monde procède ainsi des mécanismes biologiques de structuration de nos champs perceptifs tout autant que des « habitudes » acquises au cours de notre développement.

5. Le principe inférentiel : éléments tests/éléments inducteurs

Toute représentation de la réalité est ainsi une illusion [3] qui repose sur la combinaison de deux éléments :

  • un élément inducteur (contextuel) qui induit la « déformation » ;

  • un élément test (la réalité, dans toutes ses composantes objectives) qui la subit.

Dans la figure ci-dessous, imaginée par le psychiatre allemand Müller-Lyer en 1889, les lignes du bas paraissent plus courtes que celles du haut :

Dans cet exemple, une même réalité, c’est-à-dire un même élément test (en l’occurrence les lignes horizontales de même longueur), est perçue/interprétée différemment en fonction de l’induction provoquée par l’orientation des flèches ou des cercles pleins/vides (éléments inducteurs).

Dans l’exemple suivant, nous percevons le même symbole graphique et c’est le contexte, grapho-sémantique, qui décide de notre interprétation : « B » ou « 13 » ; les éléments inducteurs – dans un cas le A et le C, dans l’autre le 12 et le 14 – générant l’interprétation d’une même réalité, en l’occurrence du symbole central (élément test).

Ce principe inférentiel, qui sous-tend notre rapport au monde réel, est ce qui nous permet aussi d’interagir avec celui-ci, nous permettant – on va le voir dans le point suivant – d’extraire de notre environnement sociocognitif les informations les plus pertinentes de façon à produire les réponses les plus adaptées aux situations (sur le principe de l’interprétation du B ou du 13). Les contextes et nos « attentes » issues de ces mêmes contextes induisent les hypothèses que le cerveau construit sur ce qui constitue « notre » réalité. Il s’agit là de la notion de disposition perceptive : elle prépare le cerveau à détecter un stimulus particulier dans un contexte donné (Bagot, 1999).

6. Perception sélective

Le test de lecture ci-dessous – l’effet Stroop – montre comment le cerveau opère systématiquement un traitement sélectif de l’information à interpréter, induit par le contexte proposé. Dans cet exemple, l’interprétation du code alphabétique apparaît plus prégnante que l’interprétation du code couleurs (exception faite pour les enfants en cours d’apprentissage de la lecture). Il nous est aisé en effet d’interpréter (autrement dit de lire) les mots « bleu », « rouge », « vert » ou « jaune » mais bien plus difficile d’énoncer les couleurs sans être « parasité » par l’information du code linguistique, car celle-ci fonctionne comme information prioritairement signifiante.

Le cerveau humain dispose ainsi d’une sorte de « grille perceptuelle » de la réalité, qui fait qu’il sélectionne, dans son environnement sociocognitif, ce qui est le plus signifiant, autrement dit ce qui fait le plus sens pour lui dans un contexte donné.

Le cerveau humain a évolué pour sélectionner prioritairement les informations jugées « importantes », de sorte que « nous ne voyons pas tout » (Simons et Chabris, 1999), et faisons spontanément l’économie des informations que nous jugeons non porteuses de sens. La vidéo intitulée « colour changing card trick » [4], créée par Richard Wiseman, illustre ce phénomène de perception sélective, ou de cécité attentionnelle : dans cette vidéo, cinq changements « massifs » dans notre environnement cognitif passent totalement inaperçus, parce qu’ils ne sont pas pertinents au regard du « scénario » proposé. Cet exemple est symptomatique de la façon dont le cerveau interprète ce qu’il voit en fonction de ses objectifs, ou horizons d’attente, occultant du même coup ce qui est hors contexte, hors scénario, c’est-à-dire ce qui – de façon générale – ne confirme pas ou ne valide pas ses hypothèses interprétatives. C’est ce que la psychologie cognitive appelle un biais de confirmation : les informations qui ne s’inscrivent pas dans la logique de nos raisonnements, ou de nos attentes, sont tout simplement occultées de notre champ perceptif/interprétatif, et donc plus largement de notre appréhension du monde réel. Ainsi par exemple, nous ne voyons pas spontanément le nourrisson figurant sur la photographie ci-dessous.


Le centre de notre attention relève donc à la fois de la propriété des objets et de nos objectifs ou attentes inhérents aux contextes, ce que nous désignons par horizons perceptifs.

Prenons l’exemple suivant d’une réalité graphique pour le moins étonnante :

sleon une édtue de l’Uvinertisé de Cmabrigde, l’odrre des ltteers dnas un mot n’a pas d’ipmrotncae, la suele coshe ipmrotnate est que la pmeirère et la drenèire lteetrs sinoet à la bnnoe pclae. Le rsete peut êrte dnas un dsérorde ttoal et vuos puoevz tujoruos lrie snas porblmèe.

Nous savons reconstituer la forme « selon une étude » à partir du signal informationnel « sleon une édtue », en fonction d’un horizon perceptif défini (qui peut ou non inclure par ailleurs un contexte sémantique) et de schémas de perception, de la même façon que nous savons « reconstruire » les mots d’une langue que nous connaissons, même lorsqu’ils sont « déformés » par un accent. Ce qui permet ici la reconstitution de la forme, c’est notre connaissance lexicale qui nous dit par exemple qu’il n’y a pas d’autre mot que « selon » qui puisse être formé par les lettres « sleon » et qui puisse débuter une phrase comme celle-ci. Les hypothèses étant limitées, nous sommes en mesure rapidement de sélectionner et de valider une hypothèse interprétative et faire une inférence sur la base des informations disponibles.

7. Les perceptions paradoxales

Dans les deux photographies proposées ci-dessous représentant trois voitures et sept personnages alignés, il nous semble que la voiture et le personnage situés au premier plan soient « plus petits » que les autres – alors qu’il s’agit de la même voiture reproduite trois fois aux mêmes dimensions, ainsi que du même personnage « copié-collé » sept fois.

Pourquoi ? Parce que, là aussi, notre horizon perceptif nous amène à situer spontanément la scène en contexte, c’est-à-dire dans un monde tridimensionnel. Or, des lignes qui convergent – celles formées en particulier par le trottoir dans la première photographie et le muret dans la seconde (éléments inducteurs) – induisent un point de fuite et par conséquent un éloignement. Nous devrions donc percevoir les trois voitures et les sept personnages de plus en plus « petits » (hypothèse interprétative générée par le cerveau) – ce qui n’est pas le cas. Pour résoudre ce conflit cognitif, notre cerveau met en œuvre un processus de rationalisation de la perception qui « compense » la dissonance [5] et, ce faisant, produit alors l’illusion visuelle – ou perception paradoxale – de voitures et de personnages de tailles différentes.


Ces différents exemples montrent bien que tout traitement cognitif d’une réalité est en fait une mise en représentation, construite sur des inférences induites par des éléments contextuels générant des horizons perceptifs – que ces contextes soient graphiques (nous l’avons vu), mais aussi culturels ou sociaux (nous allons le voir) – ce phénomène d’illusion ne se limitant pas aux seules modalités de perception visuelle primaire.

8. Déclinaison du principe inférentiel aux réalités sociales/communicationnelles

Nous pouvons décliner ce principe inférentiel (éléments tests/éléments inducteurs) à des réalités plus complexes, telles que les situations sociales/communicationnelles. Les contextes socio-langagiers ou socio-culturels agissent – au même titre que les contextes graphiques dans nos exemples précédents – comme des filtres affectant nos représentations, c’est-à-dire nos « façons de voir » ou de penser les réalités. Notre perception des situations sociales est de la même façon une « illusion » conditionnée par des éléments inducteurs que sont le langage et/ou la culture – illusion que nous cherchons à rationaliser pour qu’elle fasse sens, c’est-à-dire qu’elle réponde à nos horizons d’attentes ; de sorte que nous voyons ce que nous croyons.

Par exemple, dans une célèbre expérimentation menée par Condry (Condry et Condry, 1976), on demande à des sujets de visionner un film (élément test) dans lequel un jeune enfant de 11 mois est en train de jouer (mais dont on ne peut déterminer l’identité du sexe biologique). Dans une première condition expérimentale, les chercheurs demandent aux sujets d’évaluer le comportement du petit garçon, alors que dans une seconde condition expérimentale, ils leur demandent cette fois d’évaluer le comportement de la petite fille. Les résultats de l’expérience montrent que les évaluations divergent en fonction de l’amorçage sémantique portant sur l’identité sexuelle de l’enfant (élément inducteur) : les sujets de la première condition expérimentale décrivant toujours l’enfant comme plus colérique, plus turbulent, plus distrait que ceux de la seconde condition expérimentale. Dans cette expérimentation, l’élément inducteur est socio-culturel et concerne les attributs d’un stéréotype portant sur l’identité du sexe social (par opposition au sexe biologique) : les petits garçons seraient plus turbulents que les petites filles. Autrement dit, les sujets de l’expérience voient ce qu’ils croient, tout en sélectionnant les informations (perception sélective) confirmant leurs attentes, fondées sur des stéréotypes culturels – des schèmes perceptifs associés à certaines catégories de personnes. [6]

Le langage humain n’est donc pas un code qui permettrait de traduire le réel (paradigme de la linguistique informationnelle) mais il s’organise autour du même principe inférentiel, construisant des représentations de la réalité (paradigme de l’épistémologie constructiviste) qui, dans leur expression même, sont solidaires du langage, fonctionnant comme un « savoir » organisé sur le monde.

9. Je vois ce que je crois

Dans une étude publiée en 2008 (Plassmann et al., 2008), Hilke Plassmann, chercheuse à l’INSEAD, montre que la perception gustative de la qualité d’un vin (élément test) est directement corrélée au prix affiché sur l’étiquette (élément inducteur). Concrètement, elle observe par neuroimagerie (scanner IRMf) que le cortex orbitofrontal, participant à la sensation de plaisir, s’active différemment chez des sujets testés pour un même vin à 90 € (première condition expérimentale) ou à 10 € (seconde condition expérimentale).

De même, de récentes études en neurosciences confirment que ces éléments inducteurs (contextes culturels) affectent et biaisent le traitement sensoriel d’un individu lors de l’ingestion d’un liquide. Ainsi, Samuel McClure et son équipe du Baylor College of Medecine de Houston (McClure et al., 2004) ont montré que pour deux boissons gazeuses de composition chimique relativement équivalente (élément test), la préférence ne se traduisait pas seulement en un traitement sensoriel au niveau cérébral mais qu’à la simple vision de la marque de la boisson leader sur le marché mondial (élément inducteur), on observe chez les sujets une activation plus intense de l’hippocampe, zone du cerveau associée à la mémorisation.

Concrètement, on demande aux sujets si leur préférence de consommateur va à la boisson Coca Cola ou Pepsi Cola. Résultat du sondage d’opinion : la majorité des sujets accordent leur faveur à Coca-Cola. [7] Dans un deuxième temps, on effectue un test de consommation en aveugle, sans citer les marques, et ces mêmes sujets déclarent alors préférer Pepsi-Cola. Cette dégustation à l’aveugle, réalisée sous scanner par résonance magnétique fonctionnelle, révèle que le putamen (zone importante dans le circuit du plaisir, cf. photographies ci-dessous) réagit violemment quand les sujets consomment du Pepsi-Cola (étoile bleue) et visiblement moins quand il s’agit du CocaCola (point rouge).

Enfin, lorsque les sujets voient ce qu’ils consomment (troisième phase de l’expérience), c’est-à-dire visualisent les deux marques, ces mêmes sujets déclarent cette fois préférer Coca-Cola, confirmant ainsi le sondage initial. Et à ce stade de l’expérience, le putamen n’est plus activé lors de l’ingestion du Pepsi-Cola ; cette fois c’est la zone du cortex préfrontal et l’hippocampe – c’est-à-dire la zone de la conscience et de la mémoire (en vert sur la photographie ci-dessous) – qui s’active.


Conclusion de l’expérience : les sujets voient ce qu’ils croient. Lorsqu’ils voient ce qu’ils consomment, leur préférence gustative s’accorde avec leur croyance (révélée par le sondage initial).

Ainsi, à la simple vision de la marque, la zone du cerveau associée à la mémorisation, l’hippocampe, s’active, inhibant la zone du plaisir (le putamen), supplantant la préférence « réelle » des sujets révélée par le test en aveugle. Autrement dit, l’imagerie Coca-Cola, le branding Coca-Cola (puissance de la marque, cohérence de la communication, habitudes de consommation, etc.), induit la perception (ici gustative) des sujets.

Déjà en 1966, Valins (1966) mettait au point un protocole expérimental destiné à montrer l’influence d’éléments contextuels culturels extérieurs au sujet sur les jugements d’attirance d’individus de sexe masculin. La tâche des sujets consistait à estimer leur attirance à l’égard de photographies présentant de jeunes femmes nues, issues du magazine Play-Boy (élément test). Il était expliqué aux participants que leur rythme cardiaque sera enregistré tout au long de l’expérimentation à l’aide d’un appareil approprié et que leurs battements cardiaques seront entendus dans tout le laboratoire, et donc par le sujet lui-même. En réalité, ces battements cardiaques, tantôt rapides, tantôt lents, ne sont pas ceux du sujet mais sont préenregistrés et associés aux photos de façon aléatoire. Les résultats de l’expérience réalisée par Valins montraient que les femmes sur les photos sont estimées d’autant plus attirantes qu’elles ont été associées, par l’expérimentateur, à des battements cardiaques rapides.

Ainsi, tout se passe comme si les sujets, incapables de porter un quelconque jugement sur les photographies présentées, appuient leur évaluation sur les battements cardiaques qu’ils croient être les leurs, donc par rapport à des éléments extérieurs. Valins et al. (1972) montrera ensuite que les préférences persistent même lorsque le sujet est informé de la manipulation dont il a été victime (principe de rationalisation).

Toutes ces expériences montrent combien les informations (éléments inducteurs) contenues dans la publicité ou sur les étiquettes d’un produit alimentaire (arguments nutritionnels par exemple) peuvent induire l’appréciation (réelle) de son goût. Elles illustrent aussi combien des éléments extérieurs, contextuels, affectent nos perceptions des réalités, générant des inférences simples dans le traitement informationnel (qualité=prix, qualité=marque, etc.), et qui perdurent même lorsque le protocole expérimental est révélé aux sujets. Ainsi, révéler par exemple pour l’expérience de Plassman que les deux bouteilles contiennent le même vin (et que seules les étiquettes affichant le prix ont été modifiées) ne suffit pas à modifier la perception gustative du sujet/consommateur. Celui-ci, en dissonance cognitive (Festinger, 1957), tend à rationaliser sa perception pour réduire son état de dissonance en mobilisant des arguments justifiant sa préférence (une bouteille ouverte avant l’autre, d’infimes variations de températures entre les deux bouteilles, etc.).

Ces biais cognitifs dans le traitement informationnel et la perception des réalités conduisent publicitaires et marketeurs à élaborer des techniques d’influence qui affectent le comportement du consommateur, jouant sur les éléments inducteurs simples : prix psychologiques, prix à terminaison 9, effet de sous-détermination, effet de simple-exposition, lieux de vente et musiques d’ambiance, etc. (Joule et Beauvois, 2002).

Dans le même esprit, le marketing politique, s’intéressant, lui, au comportement du citoyen/électeur, utilise les mêmes ressorts liés au traitement inférentiel des réalités (Fortin, 2006). De fait, que l’on vende un produit, une personnalité ou un parti politique, le storytelling (la machine à fabriquer des histoires) est aujourd’hui de rigueur, car ce qui prime c’est toujours le schéma narratif (amorçage sémantique) : une structure narrative construite comme une publicité recouvre en effet l’ensemble de ces objets « à vendre » (Soulier, 2006). Le storytelling politique, avec sa cohorte de consultants, de scénaristes hollywoodiens et de publicitaires, est apparu au milieu des années 1980. Le storytelling management, une nouvelle école de direction d’entreprises, connaît même depuis 2001 un succès croissant dans des firmes comme Disney, McDonald’s, Coca-Cola, Adobe, IBM, Microsoft. « La NASA, Verizon, Nike et Lands’ End considèrent le storytelling comme l’approche la plus efficace aujourd’hui dans les affaires », écrit Lori Silverman, directeur d’une société de conseil en management. [8]

10. Conclusion

L’effet de vérité ne résulte donc pas de l’adéquation entre le réel et le représenté (théorie du signe et logique informationnelle) mais de la co-incidence entre deux cognitions : deux discours, deux identités socio-langagières, qui donnent forme au monde, et le créent – même rétrospectivement (principe de rationalisation).

Dans cette perspective, le langage ne peut plus simplement être assimilé à des séquences de signes qu’il s’agirait de décoder, mais il est bien davantage porteur d’indices permettant d’inférer, c’est-à-dire de prolonger des segments sémantiques, telles que les intentions de celui qui parle ou agit d’une certaine façon. C’est toujours un contexte, relationnel par exemple, qui permet de donner sens à une interaction langagière ; considérant que tout locuteur produit un énoncé pertinent – selon le Principe de pertinence (Sperber et Wilson, 1989) –, les interactants l’insèrent dans un contexte interprétatif. [9] Varela explique ainsi que « la communication ne se traduit pas par un transfert d’informations depuis l’expéditeur vers le destinataire, mais plutôt par le modelage mutuel d’un monde commun au moyen d’une action conjuguée : c’est notre réalisation sociale, par l’acte de langage, qui prête vie à notre monde » (Varela, 1990, p.115). Ainsi, nos interactions n’ont de sens que dans un « enlacement » mutuel aux contextes, dans la mesure donc où il n’y a pas qu’un seul monde (déjà constitué), mais des mondes, des réalités à négocier, c’est-à-dire tout un univers référentiel à « construire », pour le rendre commun.

Notre perception de la réalité est le produit d’interprétations contextuelles (sociales, culturelles, langagières…), construites par et à travers le langage, dans la mesure où toute situation sociale/communicationnelle (élément test) n’est signifiante que dans un contexte (élément inducteur) induisant des hypothèses interprétatives (principe inférentiel).

Rompant avec la linguistique structurale interne, cette sociolinguistique de l’action fait du langage fondamentalement un acte politique : l’instrument de l’invention/négociation du monde. Le langage ne dit pas – car il ne peut pas dire – le monde : il crée du sens, servant non plus seulement à communiquer ou à transmettre de l’information sur un monde déjà là, mais à concrétiser un monde en devenir.

Réferénces

1. Un percept désigne ce qui est perçu, c’est-à-dire le résultat phénoménologique, ou vécu, du processus de perception. (Bagot, 1999 ; Rock, 2001).
2. Le terme de perception se réfère au processus d’ensemble qui englobe l’appréhension des objets et des événements dans l’environnement. (Rock, 2001 ; Bagot, 1999).
3. L’utilisation de ce terme n’engage pas ici de thèses philosophiques et se restreint au champ de la psychosociologie ; l’illusion pouvant se définir une expérience perceptive « erronée » mais partagée par les individus placés dans le même environnement perceptif. Elle procède d’un processus de construction et d’interprétation perceptive. (Ninio, 1998).
4. Voir : http://www.youtube.com/watch?v=voAntzB7EwE&feature=channel, (page consultée le 6 octobre 2009).
5. Il y a incompatibilité entre ce que je vois (trois voitures de même taille) et ce que je voudrais voir (trois voitures de plus en plus petites)… je crée alors une représentation visuelle « aberrante » consistant à voir autre chose : trois voitures de plus en plus grandes.
6. Ces constructions finissent même parfois par s’imposer socialement, venant ainsi renforcer le stéréotype. (Leyens, 1996).
7. Adapté de l’article « Accroître la compréhension et la notoriété de la marque » (extrait augmenté de Matière Grise, n°26, rtbf 1, 24/01/06, interview d’Arnaud Pêtre neuromarqueteur, UCLouvain/IAG. Voir :http://www.neuromarketing.be/applications2.htm (page consultée le 19 mars 2010).
8. Adapté de Le Monde diplomatique, Archives – Novembre 2006. Voir:http://www.monde-diplomatique.fr/2006/11/SALMON/14124 (page consulté le 9 avril 2010).
9. C’est l’objet même de la socio-pragmatique : décrire comment l’auditeur construit, pour chaque nouvel énoncé, un contexte permettant de formuler des inférences.

Références bibliographiques

AUSTIN, J. L. (1970) : Quand dire c’est faire. Paris, France : Éditions du Seuil.
BAGOT, J.-D. (1999) : Information, sensation et perception. Paris, France : Armand Colin.
BIRDWHISTELL, R. L. (1996): Communication, anthropologie et linguistique. Dans Winkin, Y. (dir.). Anthropologie de la communication. De la théorie au terrain. Paris, France: Editions du Seuil.
CONDRY, J. et CONDRY, S. (1976) : “Sex differences : A Study of the Eyes of the Beholder” dans Child Development, 47, 812-819.
DELORME, A., et FLÜCKIGER, M. (2003) : Perception et réalité. Bruxelles, Belgique : De Boeck.
FESTINGER, L. (1957): A theory of cognitive dissonance. Stanford, CA: Stanford University Press.
FIORI, N. (2006) : Les neurosciences cognitives, Paris, France: Armand Colin.
FORTIN, G. (2006): « Une dérive néo-sophistique ? Les pratiques argumentatives dans les débats politiques télévisés » dans Communication & Langages, Dialogues politiques : images et miroirs, 148, 53-68.
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Psychologie du consommateur : pourquoi et comment l’horreur fait vendre ?

Romain Cally
Docteur en Sciences de Gestion | Psychologie du consommateur

Il ne se passe pas une semaine sans qu’un film d’horreur ne sorte sur nos écrans de cinéma ou qu’une émission de télévision fasse un reportage sur une affaire criminelle. L’horreur a bonne presse, c’est un fait avéré dans notre société. Toutefois, nous pouvons nous questionner : pourquoi intéresse-t-elle tant le public? Pourquoi nous fascine-t-elle ? Finalement, ne sommes-nous pas des consommateurs de violence et d’horreur ?

La curiosité morbide : un vilain défaut ?

Il nous est tous déjà arrivé de ralentir en voiture pour regarder de plus près un accident de la route. On peut alors s’interroger : est-ce un comportement « normal »? Comme le dit le psychologue Louis Brunet (2013), cette curiosité pour le morbide n’a rien de mauvais en soi, «quand on roule sur une autoroute et qu’on passe devant un accident, on regarde. C’est normal qu’on soit fasciné. La mort, la violence, la destruction font partie de nos angoisses naturelles. Nous sommes tous mortels, tous sujets à la violence et aux accidents. On pourrait fermer les yeux quand on voit quelque chose de violent. D’ailleurs, certains le font. Mais regarder est une façon de chercher à comprendre et à maîtriser nos angoisses». Donc, face à des faits divers tragiques et dramatiques, nous éprouverions un sentiment ambigu et paradoxal : d’un côté, nous compatissons avec la souffrance des victimes et, de l’autre, nous ressentons également un certain plaisir. C’est précisément ce que rappelle Thierry Jandrok (2009) quand il écrit que « les malheurs des autres ont une fonction rassurante pour tout un chacun ». En fait, quand nous observons un accident de la route, dans l’instant, nous jouissons d’être encore «encore en vie ». Notre sentiment d’être vivant est alors exalté.

Jouer sur la violence et l’horreur pour convaincre

En psychologie, cette curiosité pour le morbide est connue et analysée depuis longtemps. C’est un sentiment « d’attraction – répulsion » irrationnel, mais qui existe bel et bien. Les pouvoirs publics et la Sécurité Routière profitent, amplement de ce sentiment pour divulguer des messages de prévention. Depuis plusieurs années, ils ont choisi de mettre la « violence » et « l’horreur » au centre de leurs campagnes. En fait, la perception des conducteurs se fait en deux temps : la « curiosité morbide » pousse dans un premier temps le conducteur à regarder l’image « choc ». Elle capte son attention. Ce n’est qu’ensuite, qu’il va se focaliser sur le message de prévention qui est délivré. Par ces images, les associations de préventions routières espèrent marquer les esprits sur le long terme.

C’est une stratégie largement partagée par les publicitaires : pour eux le message de prévention doit être exprimé avec force pour être efficace. Dans le cas contraire, ledit message prend le risque d’être « noyé » dans la masse de messages publicitaires en tout genre. En utilisant la violence et l’horreur, les professionnels jouent sur l’émotionnel, la peur d’une mort brutale mais aussi sur la responsabilité du conducteur.

A contrario, pour certains spécialistes, ces messages « chocs » n’auraient pas l’efficacité escomptée sur les individus. En fait, ils perdraient en persuasion, car les sujets auraient tendance à se protéger davantage des messages de prévention et non des risques évoqués dans lesdits messages (cf. Chabrol et Diligeart, 2004).

Pourquoi regarder un film d’horreur ?

Il existe diverses raisons qui expliquent cette attirance du public pour ce genre de cinéma. Nous avons répertorié ci-dessous celles qui nous paraissent incontournables :

« Moi, je regarde des films d’horreur parce que j’aime la sensation que procure la peur (une petite boule dans le ventre, etc, etc.), c’est la même chose pour les attractions fortes, parce que si on n’aimait pas se faire peur, personne n’irait dedans. » (Parole d’un internaute). Pour un grand nombre de personnes, les films d’horreurs seraient donc un moyen d’avoir peur par procuration. Nous voulons que le film nous affecte émotionnellement. Ainsi, lorsque nous visionnons des films d’horreur, lisons des romans de Stephen King et/ou regardons des émissions sur les « grands criminels », c’est en quelque sorte pour «compenser», pour vivre par procuration une expérience inédite. Ce qui motive le spectateur, c’est la recherche d’une excitation, le plaisir des réactions physiologiques (comme la montée d’adrénaline), la recherche d’un divertissement inhabituel ou encore d’une échappatoire aux tracas du quotidien.

Pour certains psychologues, le cinéma horrifique aurait aussi une fonction d’atténuation de « l’anxiété face à la mort » [1]. Celle-ci aurait tendance à devenir temporairement moins intense. La mort prédomine dans le film d’horreur, mais elle crée paradoxalement une jouissance, la jouissance d’être « encore en vie » en sortant du cinéma. Observer des malheurs, drames, accidents, catastrophes au cinéma accentuent consciemment ou inconsciemment cette jouissance, laquelle atténue notre anxiété face à la mort.

Nous devons également aborder le possible effet cathartique qu’offre la consommation de films d’horreur. Pour ses partisans, avoir peur nous permettrait de nous défouler et de nous décharger de nos mauvaises humeurs quotidiennes. Une sorte de « vidange d’un trop plein émotionnel » comme aime le dire Serge Tisseron (2003). Suivant cette logique, la catharsis « émotionnelle » peut assurer un apaisement par le seul fait que le spectateur est confronté à un spectacle dans lequel des actes violents qu’il peut désirer en secret sont accomplis. Plutôt que de s’engager lui-même dans une interaction agressive, le sujet l’observe par l’intermédiaire des personnages d’un film (cf. Leyens, 1977).

Par ailleurs, dans une société qui condamne et prohibe la violence, on peut également dire que les films d’horreur apparaissent comme des sortes de subversions par lesquelles les spectateurs ressentiraient la sensation de transgresser des lois et des codes établis. Cette sensation de transgression peut contribuer à expliquer l’attirance des spectateurs pour des films présentant des éléments marginaux voire interdits dans la vie réelle.

Cinéma horrifique et « sadomasochisme spectatoriel »

Le cinéma d’horreur fonctionne selon le procédé « d’attraction-répulsion »: d’une part, le désir de regarder et d’autre part, la répulsion face au sujet du regard (rappelant les théories sur l’Éros et le Thanatos de Freud, sur l’interrelation entre pulsion de vie et pulsion de mort).

D’après Edward Lowry, le spectateur du film d’horreur est un spectateur à tendance sadomasochiste : ce dernier est placé dans une position où le spectacle de l’horreur sert la satisfaction d’un désir assumé (le spectateur sait pertinemment que le film tentera de le terroriser). Il est, à la fois, horrifié et fasciné par le spectacle de l’horreur qui s’offre à lui. Autant il peut s’identifier aux souffrances de la victime et avoir de l’empathie pour elle ; autant il peut prendre plaisir à regarder le spectacle de l’horreur ainsi que la déchéance de cette dernière. Ce « sadomasochisme spectatoriel» existerait dans le cinéma d’horreur et en particulier, dans la catégorie « slasher » [2] et « gore » [3].

Pour les professionnels du marketing (nous le verrons plus en détail dans les paragraphes suivants), un film d’horreur au cinéma peut devenir un thème de publicité prolifique. L’objectif premier étant de « capter » l’attention du public. En 2011, avec le slogan « Venez comme vous êtes » (en anglais « comme as you are »), Mac Donald’s a choisi d’inviter le tueur du film « Scream » au fast-food.

Le message publicitaire se veut explicite tout en mélangeant humour noir et subversion. Sur l’affiche, on peut voir le serial-killer délaisser momentanément son téléphone portable, pour déguster un « burger ». Derrière lui, une jeune femme au téléphone, surement sa future victime semble très inquiète. Les cibles visées par les publicitaires sont les adolescents et les cinéphiles qui ont été marqués par ce film lors de sa sortie.

Le cinéma horrifique, en s’appuyant sur des ressorts psychologiques puissants, sans la créer, encourage la fascination des individus pour l’horreur. Mais où commence la fascination ?

Comme le souligne Richard Béguin (2001) : « …l’horreur n’a cesse de se banaliser, et, par la même occasion, d’atteindre de nouveaux sommets intolérables. Il n’y a d’horreur que dans ce qui trouble, dégoute et nous échappe ». Les faits-divers transcrivent bien cette fascination. Ils se prêtent particulièrement bien au « story-telling » de l’information. Ils apparaissent comme un feuilleton trépidant, avec des mystères, des « pseudo-révélations », des suppositions, des rebondissements. L’évènement dramatique prend ainsi l’apparence d’une fiction : on peut prendre en référence l’attentat terroriste perpétré par des extrémistes religieux contre le journal satirique « Charlie Hebdo » en 2015. Lors de ce fait-divers tragique où plusieurs personnes avaient trouvé la mort dont plusieurs agents de Police. Les médias d’informations avaient alors multiplié les émissions et reportages pendant des jours voire des semaines sur l’affaire. Le public pouvait suivre en direct, chaque jour, le déroulement de l’enquête et connaître, minute après minute, les dernières avancées de la Police. Dans une vidéo amateur, on pouvait même visionner l’exécution sommaire d’un policier par les terroristes dans une rue à Paris. Cette vidéo avait reçu des centaines de milliers de « vues » sur Internet avant d’être reprise et diffusée par les médias du monde entier. Incontestablement, le fait-divers tragique intéresse et fascine au-delà du raisonnable, amplement aidé, il faut l’avouer, par les médias d’information.

Sommes-nous des consommateurs de violence et d’horreur ?

Que l’on veuille ou non, la violence et l’horreur fascinent, que ce soit dans le cinéma et/ou dans la réalité. Aujourd’hui, on ne compte plus le nombre de livres, de films, de séries, ou encore de documentaires réalisés sur ces thèmes. Il n’y a qu’à voir la multitude des séries documentaires sur les affaires criminelles diffusées à la télévision, comme « Faites entrer l’accusé », « Enquête criminelles », « Crimes » ou encore « Présumé innocent ». En 2011, le magazine « Télé 2 semaines » avait comptabilisé le nombre de « morts » que l’on pouvait voir à la télévision, en première partie de soirée : le bilan est accablant, avec 37 morts et une dizaine de blessés et cela, en une semaine, sur 21 épisodes de séries policières diffusées sur les grandes chaînes françaises. La question que l’on peut légitimement se poser est : ne se dirige-t-on pas vers une banalisation du « meurtre » à la télévision et au cinéma ? D’après Blandine Kriegel, lorsqu’une « personne est exposée à la violence télévisuelle, les effets physiologiques immédiats sont de même nature que si cette personne était exposée à une situation de violence réelle (…). A long terme, l’exposition fréquente à des scènes de violence contribue à une désensibilisation du spectateur qui s’habitue à la violence ». Malgré tout, il est difficile d’établir une relation directe entre le comportement des acteurs à l’écran et celui des spectateurs dans la réalité. Comme le dit Serge Tisseron, il faut surtout éviter de faire des raccourcis, « ce n’est pas parce qu’on voit au cinéma des gens méchants qu’on a envie de l’être, pas plus que c’est parce qu’on voit des gens gentils qu’on a envie de le devenir! ». Dans la très grande majorité des cas, il n’y a aucun rapport avec l’agressivité réelle, le cinéma et la télévision sont compris comme un jeu, un divertissement, une expérience esthétique et culturelle.

Pourquoi les Serial-Killers fascinent?

Plus une histoire criminelle est entourée de scandales et d’horreurs, et plus elle intéresse les médias, précisément parce qu’elle captive le public. Les Serial-Killers [4]n’échappent pas à cette tendance. Ils sont devenus des personnages récurrents de nos fictions, qu’ils soient historiques comme « Jack L’Éventreur » ou imaginaires comme « Hannibal Lecter ». Ils ont envahi littéralement le petit écran, la série « Dexter », « Criminal Minds », « Hannibal » ou encore « The Following », sont des exemples parmi d’autres.

Alors, pourquoi les serial-killers fascinent autant le public? Selon le chercheur américain David Schmid, le Serial-Killer représente le vecteur de frayeur et de danger envers la communauté. Il renforce cette même communauté et cela, en lui donnant une identité commune, à savoir : « nous ne sommes pas comme lui ». Autrement dit, le Serial-Killer est cet être « anormal » qui rassure tout un chacun sur sa propre « normalité ».

Par ailleurs, on retrouve dans cette fascination, une notion bien connue en psychologie, à savoir : « l’ambivalence affective » [5]. En effet, d’une part, nous condamnons moralement les criminels pour leurs actes. Mais d’autre part, précisément parce qu’ils vont au bout de leurs pulsions de destruction, de leurs fantasmes, de leurs folies meurtrières, ils nous fascinent. Il est important de rappeler que c’est généralement de la fascination et non de l’admiration que ressentent les spectateurs face aux Serial-Killers [6]. Ce qui intéresse principalement le spectateur, c’est le fantasme que crée leur personnalité complexe, leur « logique », car cette dernière nous échappe et nous interpelle.

Il faut avouer que le cinéma a contribué à faire de ces Serial-Killers des sortes de « héros », certes négatifs, mais supérieurs [7] d’une certaine manière au « commun des mortels ». Pourtant, les Serial killers du cinéma, comme le dit Daniel Zagury, n’ont rien à voir avec ceux qu’on trouve dans le monde réel. Dans la fiction, ils sont vêtis d’une complexité « attirante » dans leur psychologie, et fascinent davantage que les hommes censés les mettre hors d‘état de nuire.

Le cinéma d’horreur… une libération pulsionnelle ?

Le cinéma nous plonge dans un monde imaginaire, comme le dit Geneviève de Taisne, qui « peuvent mettre en scène nos pulsions les plus inavouables pour notre surmoi » [8]. Prenons un exemple : dans le film « American Nightmare » de James DeMonaco, les spectateurs peuvent « s’imaginer » faire des choses atroces et/ou être dans la peau des personnages en tant que victimes ou bourreaux. Rappelons brièvement le scénario : l’histoire se passe aux Etats-Unis dans un futur proche. « La purge » a été instaurée depuis 10 ans et a redressé spectaculairement le pays de la crise économique qui avait sévit. Son principe est terrifiant : autoriser une fois dans l’année, l’espace de 12 heures, tous les crimes mineurs et majeurs, meurtres y compris, afin de permettre aux citoyens de relâcher en toute légalité leurs pulsions noires les plus enfouies et les plus (auto-)destructrices, pour en quelque sorte, se « purifier ». Une « catharsis » censée libérer les individus qui, une fois leurs pulsions assouvies, seront sages comme des images le reste de l’année.

De telles scènes extrêmes sont souvent mises en scène au cinéma comme le souligne Serge Tisseron, car « elles mobilisent chez certains spectateurs la jouissance de s’identifier à un héros qui prend du plaisir – même si c’est à tuer – et, chez d’autres une compassion pour les victimes ». Aussi, en nous identifiant à de tels personnages, cela nous permet de « vivre » des aventures, de ressentir des sentiments, des émotions que nous n’oserions jamais ressentir dans le réel, car nous savons, précisément, que nous sommes dans une fiction. Pour reprendre la formule d’Alfred Pottier (1957), « au cinéma on tue avec le meurtrier et on expire avec sa victime ». Même si, après le film, nous sommes immédiatement rattrapés par la réalité.

Dans bien des cas, les scénaristes font de ces « héros/assassins », des personnages héroïques dotés d’un charisme « électrisant ». Ils sont souvent attachants et même lorsqu’ils tuent, ils ne le font pas seulement pour assouvir leurs pulsions meurtrières. Ils le font, dans certains cas, dans un but moral.

Si l’on regarde la série « Dexter », on peut aisément dire qu’elle bouscule notre conception de la morale car elle opacifie la frontière entre « bien » et « mal ». En effet, les scénaristes ont cherché à faire de leur personnage un individu tourmenté entre ses instincts meurtriers et la volonté de faire quelque chose de « juste ». Ce qui rend ce tueur « attachant », c’est qu’il n’est pas dépourvu de morale. Il contrôle ses pulsions morbides grâce à un « code », une sorte de règle éthique. Ainsi, nous voyons notre morale « repensée » par ce Serial-Killer, à l’allure de justicier.

Un autre exemple peut être donné par le film « Saw » : le Serial-Killer dénommé le «tueur au puzzle» punit ses victimes, mais pour des raisons qui peuvent paradoxalement se «concevoir» pour le spectateur. En effet, dans la saga, le Serial-Killer ne tue pas directement « de ses mains », il crée ce qu’il appelle des «jeux»: il place ses victimes dans des situations dramatiques et mortelles représentant symboliquement ce qu’elles doivent faire pour se libérer de ce dont elles souffrent dans la vraie vie. Par exemple, une toxicomane devra se battre pour survivre afin d’expier ses erreurs ; un chirurgien infidèle devra se couper un pied pour sauver son épouse et sa fille ; un voyeur devra se regarder mourir lentement, etc. Par ce moyen, le Serial-Killer souhaite que sa victime fasse une introspection personnelle et lui prouve son attachement pour la « Vie » : on pourrait dire que le Serial-Killer offre à ses victimes une sorte d’expérience cathartique.

L’horreur et son utilisation en psychologie du consommateur

Nous allons voir à présent, qu’en psychologie du consommateur, l’horreur et la violence peuvent servir comme critère de différenciation d’un produit ou une marque sur le marché.

Comme le dit le psychanalyste Guy Laval, « l’homme normal a tout ce qu’il faut dans son équipement psychique pour devenir un assassin ». D’après les psychologues, le phénomène d’identification qui est à l’œuvre dans le cinéma, fait qu’un film n’est jamais neutre, qu’il rentre en résonnance avec l’état émotionnel du spectateur.

Certains personnages de films ont un « potentiel identificatoire » tellement puissant, qu’ils affectent les comportements, les modes d’expression voire les modes de pensée des spectateurs. Comme le dit Geneviève de Taisne (2011), « un film peut aider au dépassement de certains fantasmes qui nous habitent ». Prenons l’exemple du film « V for Vendetta » : ce film met en scène, dans un Londres futuriste, un héros masqué subversif et anarchiste nommé « V » qui se bat contre un régime politique totalitaire et liberticide. Sans entrer dans les détails de l’histoire, le héros effectue divers attentats et attaques meurtrières. Le personnage de « V » est une figure fascinante, ambiguë et paradoxale : à la fois redresseur de torts et hors-la-loi, vengeur et sauveur, héros et meurtrier, violent et romantique, etc. Nul besoin de préciser « l’ambivalence affective » dont peut bénéficier ce personnage auprès du public.

En regardant ce film, on peut se poser la question de l’effet sur les spectateurs d’un discours qui fait l’apologie de la transgression. Doit-on encore respecter les lois et règles d’une société lorsque celle-ci est corrompue? Ce qui s’est produit après la sortie du film semble offrir une réponse à cette question. En fait, il va non seulement se créer un engouement hors norme pour ce personnage mais aussi et surtout, pour le masque utilisé par ce dernier. Celui-ci est devenu un objet dérivé très apprécié par les fans mais pas seulement. D’abord récupéré par les « Anonymous » (mouvement « hacktiviste » se manifestant particulièrement sur Internet), il est maintenant utilisé un peu partout dans le monde par tous les anarchistes et propagandistes de toutes sortes. On le voit émerger sur des forums, sur Internet, dans des manifestations, etc. Un peu partout, il semble être devenu une sorte de symbole permettant d’exprimer une cause : celle de la lutte contre les excès du pouvoir et de l’importance de préserver les libertés individuelles. Chaque année, il se vend des milliers de ces masques à travers le monde.

« Assassin’s Creed » : le jeu qui donne envie d’être… un « assassin »

« Quand tu achètes Assassin Creed, le fantasme premier est de se dire : je veux devenir un assassin !», voilà la parole authentique d’un internaute [9], qui peut interpeller tout un chacun. Cependant, il est essentiel de distinguer entre « l’imitation ludique » qui consiste à « faire semblant » de « l’imitation pour de vrai » qui relève de l’utilisation des images comme modèle de comportement (Tisseron, 2003). Pour Louis Brunet, les enfants font généralement bien la différence entre la fantaisie et la réalité, et, pour eux, le jeu peut être un outil extraordinaire d’équilibre : «Jouer à la violence peut être une façon de composer avec la violence de la vie, de contrôler sa peur. Le jeu peut être un exutoire. Quand on est dans le jeu, dans le comme si, ce n’est pas dangereux. Le problème, c’est que pour certains enfants qui ont un problème à distinguer la fantaisie de la réalité, le jeu n’est pas du jeu et peut stimuler des pulsions violentes. Mais ce n’est pas le jeu qui est en cause. On est alors dans le domaine de la psychopathologie.»

Ce qui est à l’œuvre ici, c’est bien évidemment « l’imitation ludique ». Les joueurs tentent d’assimiler les effets sensoriels, émotifs et moteurs des images grâce à des formes corporelles de symbolisation partagées. Dans le jeu « Assassin’s Creed », l’identification au personnage est particulièrement forte, surtout sur le jeune public. Certains « fans » vont jusqu’à se déguiser comme le Héros du jeu et faire des « mini-films » amateurs sur Internet. Les professionnels du marketing, l’ont d’ailleurs bien compris et ont conçu une multitude de produits dérivés pour satisfaire au mieux les fans.

Quand les zombies envahissent la publicité

On constate depuis quelques années que les « Zombies » ont pris une place étrange dans notre vie quotidienne. En effet, de plus en plus de films de cinéma, de séries télévisées, de livres, de plus en plus de musiques et d’artistes, font des zombies leur fond de commerce.

Des milliers de sites Internet leur sont consacrés et dans la rue, on commence même à voir depuis quelques années, littéralement, des véritables « marches de zombies » (le « Zombie Walk »).

Présent dans la totalité des médias, il était donc logique que la publicité s’y intéresse. Plus ou moins bien exploitée, et à l’aide d’un effet de mode, l’horreur du « zombie » a peu à peu envahi nos espaces publicitaires.

La marque de déodorant « Axe » a toujours aimé manipuler « le sexy » avec beaucoup d’humour. En 2011, pour fêter Halloween, la marque a choisi de faire dans l’horreur avec son spot « Hot girl vs Zombie ».

Le scénario est simple : un zombie s’introduit dans la maison d’une jeune femme. Celle-ci se réveille, le découvre en hurlant et s’enfuit à l’étage, s’enfermer dans sa salle de bain. Le mort-vivant ne tarde pas à en enfoncer la porte et la jeune femme l’asperge alors copieusement du fameux déodorant. Et la, rapidement, la magie opère. Une vidéo fidèle à l’esprit de la marque, qui prétend pouvoir rendre irrésistible n’importe quel homme.

Un personnage de film d’horreur sort d’une affiche publicitaire

A l’occasion de la promotion du film « La malédiction de Chucky », les réalisateurs de l’émission « SBT Oneline » ont eu l’idée d’une caméra cachée pour surprendre les brésiliens attendant à un arrêt de bus. Le canular se présentait de la manière suivante : assis juste à côté d’une affiche promotionnelle, ces derniers étaient soudainement attaqués et poursuivis par la célèbre poupée, sortie directement de l’affiche avec un couteau à la main. Une grande frayeur pour les passants et un bon « coup » marketing pour le film d’horreur puisque la vidéo a fait le « buzz » sur Internet. Cette plaisanterie fait écho à la capacité du cinéma à générer des fantasmes : pendant ce moment de terreur, les passants étaient convaincus que le personnage de fiction, la célèbre « Chucky » était réellement sortie de l’affiche pour venir les agresser.

La peur et son utilisation en publicité

La « peur » a toujours été un thème de publicité très apprécié par les professionnels du marketing. Les auteurs Dunn et Hoegg, de l’Université de Colombie britannique à Vancouver, ont publié dans « Journal of Consumer Psychology » une étude qui démontre qu’un consommateur apeuré est souvent plus attiré vers la marque qu’on lui présente au même instant.

En 2013, à la fois angoissante et brillante, cette publicité pour la marque « Duracell » présentait une poupée assez inquiétante ouvrant la porte de la chambre et se dirigeant en courant vers la petite fille au premier plan. L’accroche « Certains jouets ne meurent jamais » répond parfaitement aux attentes de la marque, c’est à dire des piles qui durent plus longtemps que les autres.


Une application créatrice de cauchemars et de terreurs nocturnes

La chaîne britannique « Horror Channel », à l’occasion de la Nuit de la Terreur qui a eu lieu en février 2014, a mis en place une application pour smartphone téléchargeable sur Internet assez effrayante : le « Night Terror » (« terreur nocturne » en français).

Le concept a de quoi surprendre par son objectif. L’application est basée sur un système de détection de votre cycle de sommeil, notamment du « sommeil paradoxal ». Une fois l’application téléchargée sur le site Internet, l’utilisateur va choisir une histoire parmi les cinq proposées ainsi que le niveau de terreur qu’il désire. A partir de là, durant la nuit, l’application va analyser son cycle de sommeil et proposer un fond sonore particulier qui viendra influencer son « inconscient » et, générer l’apparition de cauchemars voire des terreurs nocturnes. Au réveil, l’application offre la possibilité de partager l’expérience onirique via les réseaux sociaux (Facebook et/ou Twitter). Cette application singulière et horrifique a permis à « Horror Channel » de se faire connaître et de se différencier par rapport à la concurrence et donc, de gagner en visibilité sur le marché, notamment, auprès du jeune public.

Interagir directement avec un film : quand la fiction devient réalité

En 2013, la société de production « 2CFilms », basée aux Pays Bas et en partenariat avec Service2Media, a développé une application pour le film de Bobby Boerman, intitulé « App », qui permet d’interagir en temps réel avec celui-ci. Le film en question raconte l’histoire d’une jeune étudiante en psychologie qui découvre une application nommée « Isis » apparue mystérieusement sur son téléphone portable, et qui va finir par la terroriser. En fait, l’application va détecter certaines longueurs d’ondes suraiguës dans le mixage sonore du film, qui provoquent l’envoi de messages SMS au spectateur et cela, au même moment que ceux reçus par le personnage principal. Elle permet, en outre, d’avoir accès à du matériel supplémentaire comme des scènes inédites et des informations pour approfondir l’univers développé par le scénario. Bref, la spectatrice est alors terrorisée tout comme l’héroïne du film. Autrement dit, l’application offre aux utilisateurs une expérience mémorable : l’horreur coexiste durant le film, à la fois dans la fiction et la réalité.

On peut se dire, que le thème de l’horreur (ou de l’angoisse) est devenu, pour les marketers, une manière originale de se différencier sur le marché, de vendre ou de faire la promotion d’un produit, d’une marque ou encore d’un service. Attirer et captiver coûte que coûte l’attention du consommateur étant l’objectif principal de cette opération.

Durex et la vie d’un Serial-Killer

L’humour noir est fréquemment utilisé en publicité. Ce style humoristique est surtout efficace lorsque l’annonceur est en phase avec sa cible et qu’il n’outrepasse pas les limites du supportable. Ce style d’humour particulier suscite fréquemment l’interrogation chez le spectateur. Il permet souvent de relativiser les sujets les plus délicats (le sexe, la mort, les incidents tragiques…) et s’avère être une véritable arme de subversion. Tout en provoquant la gêne, il pousse au rire et fait hésiter le consommateur émotionnellement : celui-ci est souvent partagé entre le rire et une réaction plus réfléchie, plus rationnelle, plus posée. Cependant, même si l’humour noir est une stratégie efficace pour rendre visible une marque de produits sur le marché, les annonceurs doivent rester vigilants afin d’éviter de choquer les spectateurs. En 2012, la marque « Durex » dans le but de vendre davantage de préservatifs, a réalisé une publicité pour le moins polémique : le thème de la publicité consistait à retracer la vie d’un psychopathe.

La publicité prenait la forme de plusieurs« Flashback » successifs sur la vie d’un criminel. Pour résumer, à 73 ans, on le voit dévaliser une banque ; à 46 ans, il agresse une femme au couteau ; à 18 ans, il est impliqué dans un accident de la route ; à 4 ans, il tue son chat en le mettant dans le four à micro-ondes (la scène a d’ailleurs provoqué l’émoi de nombreux internautes). On remonte alors à la naissance où on apprend que sa mère décède lors de l’accouchement. Et enfin, on arrive au moment fatidique de sa conception, une scène d’amour où on assiste à un échange verbale entre les futurs parents: « Tu as un préservatif ? » demande le père. Réponse de la mère : « Non, pourquoi qu’est-ce qui pourrait arriver de pire ? ». La publicité finit alors sur les paroles « Pour votre protection. Et la nôtre ». Cette publicité a été interdite de diffusion à plusieurs moments de l’année aux Etats-Unis, jugée trop extrême pour être visionnée par des enfants.

Réseaux sociaux et serial-killer : « Take this lollipop »

En 2011, une application sur le réseau social « Facebook » intitulée « Take this lollipop » (littéralement en français, « prends cette sucette ») avait généré un immense « buzz » marketing. Créée par le réalisateur Jason Zada, cette vidéo ne faisait pas la promotion d’un produit, mais d’un site évènementiel éphémère : une sorte de thriller interactif dont l’objectif était de sensibiliser les internautes aux dangers des réseaux sociaux. Elle mettait en garde les utilisateurs du site « Facebook » sur les données personnelles publiées sur le site, en particulier en ce qui concernait la « géolocalisation ». Le principe de l’application était simple: en autorisant le site à se brancher sur votre profil et à partir des informations personnelles enregistrées, une vidéo était générée. Dans la vidéo, digne d’un film hollywoodien, on pouvait voir un Serial-Killer entrain de visionner votre « profil Facebook », vos photos, statuts, activités et données personnelles avant de prendre sa voiture et de se diriger vers votre domicile.

Le meurtre en publicité : un effet « Dexter » ?

En 2011, une marque de lotion nettoyante « Purell » va faire une campagne « choc » et macabre sur le thème du Serial-Killer. L’objectif des publicitaires étaient de créer une polémique autour de la publicité et bénéficier ainsi d’une surexposition médiatique.

Dans ce spot publicitaire, le téléspectateur va avoir droit à une séquence de violence meurtrière digne des meilleurs films de tueurs en série. Le plus étonnant dans ce spot publicitaire reste la « chute » : en effet, après avoir assassiné sa victime, on voit le Serial-Killer transporter des morceaux du cadavre de sa victime, couvert de sang pour les jeter dans une benne à ordures. Mais, une fois son forfait accompli, il prend soin de se désinfecter les mains en utilisant la lotion nettoyante « Purell ». Ce spot publicitaire basé sur le thème du « meurtre » est incontestablement inspiré de la série « Dexter ». Ici, les professionnels du marketing ont surtout cherché à profiter de l’image du héros de cette série pour promouvoir de manière surprenante leur produit. C’est ce que l’on appelle, en psychologie du consommateur, un « effet disruptif » [10].

En conclusion, à la question : « est-ce que l’horreur fait vendre ? ». Au vu des exemples développés dans cet article, on serait tenté de répondre positivement. Comme on peut le voir, l’horreur et la violence sont des thèmes appréciés et prolifiques pour la télévision et le cinéma. A l’heure d’aujourd’hui, la publicité n’échappe pas à cette tendance, la différenciation par l’horreur semble être une stratégie propice et dans certains cas, d’une redoutable efficacité.

Réferénces

1. On peut définir « l’anxiété face à la mort » (AFLM) comme « l’ensemble de réactions affectives négatives, d’intensité variable, provoqué par des idées conscientes et non conscientes relatives à la disparition de soi » (Urien, 2003).
2. Le « slasher » (de l’anglais « slasher movie ») est un genre cinématographique, sous-genre du film d’horreur, mettant en scène les meurtres d’un tueur psychopathe, généralement masqué, qui élimine méthodiquement un groupe de jeunes individus, souvent à l’arme blanche, et sa principale opposante est fréquemment une jeune femme.
3. Le « gore » est un sous-genre cinématographique du cinéma d’horreur, caractérisé par des scènes extrêmement sanglantes et très explicites dont l’objectif est d’inspirer le dégoût au spectateur.
4. Pour Zagury , on « appelle serial killer celui qui tue successivement au moins 3 personnes, avec des intervalles libres, de sang froid et sans mobile apparent ». (p7)
5. Etat de conscience comportant des dispositions affectives contraires. L’ambivalence affective désigne la coexistence d’attitudes affectives opposées vis-à-vis d’un objet, et le plus souvent la coexistence de l’amour et de la haine pour une même personne.
6. Même si, il peut arriver que dans certains cas extrêmes, la fascination va au-delà de la simple curiosité et peut devenir une pathologie (on parle alors d’hybristophilie).
7. On retrouve souvent dans ce type de film, un personnage à l’aspect « invincible », pervers, manipulateur, stratège, qui met « l’autre » en échec, d’abord les victimes, ensuite la police, puis ceux qui tentent de le « comprendre » (psychiatres, médias, public, etc), et in fine, la justice (lorsque le tueur n’a pas pu être appréhendé ou condamné).
8. Rappelons qu’une revendication pulsionnelle ne devient dangereuse que si elle n’est pas canalisée par le Sur-moi et le Moi.
9. Source : www.jeuxvideo.com/…/1-19226-134348-1-0-1-0-mini-spoil-itineraire-d-un- tueur-gate.htm
10. Stratégie publicitaire popularisée par l’agence TBWA consistant à briser les conventions établies sur un marché au moyen d’une idée créatrice, pour libérer une marque de ses carcans et la repositionner sur son marché.

Références bibliographiques

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ZAGURY, D. et ASSOULINE, F. (2010) : L’énigme des tueurs en série. Paris : Pocket, 192 p.

Psychologie du consommateur et certitude des acheteurs

Romain Cally
Docteur en Sciences de Gestion | Psychologie du consommateur

Si on peut dire que dans la psychanalyse freudienne « tout n’est pas sexe, mais le sexe est dans tout ou presque ». On peut dire qu’en psychologie du consommateur tout n’est pas que « certitude », mais la « certitude » est dans tout achat ou presque…

La certitude est une notion fondamentale en psychologie du consommateur. Elle détermine dans quelle mesure la croyance d’un individu sur un produit donné peut être utilisée dans son processus évaluatif [1] (Cally, 2012). On peut la définir comme le « degré d’assurance avec lequel le consommateur considère que sa croyance sur le produit est exacte ». Ainsi, à partir du moment où un acheteur est certain qu’un produit bénéficie (ou non) de telle ou telle avantage, sa décision de l’acheter (ou de ne pas l’acheter) peut être confortée. Cependant, bon nombre de professionnels de la vente oublient que lorsque l’acheteur manque de certitude sur une ou plusieurs caractéristiques d’un produit, sa décision d’achat peut également en être directement affectée. Autrement dit, comme le souligne Romain Cally (2014), « même si la certitude n’automatise pas l’achat d’un produit, personne, ou quasiment personne, n’achète un produit sans un niveau minimum de certitude sur la valeur de ses caractéristiques ».

Image 1

Image 2

Par exemple, dans le domaine médical, force est d’admettre que les médicaments dits génériques ont une mauvaise réputation. Un certain nombre de personnes ont un préjugé négatif sur ces produits et ne les achètent pas ou rechignent à le faire. Pourquoi ? La raison est simple et les intéressés le disent eux-mêmes : « Quand j’ai le choix, je vais préférer un médicament de marque pour mes enfants parce que, là, je suis sûr qu’il va marcher. Et puis, pour mes enfants, je veux le meilleur » [2]. En fait, ils ne sont pas sûrs de l’efficacité et l’innocuité du générique par rapport aux médicaments dits de marque. Il est toujours perçu et jugé comme « moins bon », « moins efficace », une sorte de copie du « vrai médicament ». Ces incertitudes font que le générique n’inspire pas confiance. À l’heure actuelle, les professionnels de santé doivent encore convaincre le consommateur de sa bioéquivalence. Ils doivent prouver par le biais de publicités, de reportages télévisés, d’articles de revues scientifiques que ces médicaments contiennent le même principe actif, le même dosage, la même voie d’administration et qu’ils ont surtout la même biodisponibilité (c’est-à-dire le même type d’action au fil du temps). Autrement dit, ils doivent encore travailler sur l’image perçue par les consommateurs. (cf. image 1 et 2).

Note : La variable « certitude » peut être placée sur un continuum dont les deux extrémités sont l’incertitude totale (degré de certitude égal à 0 %) et la certitude totale (degré de certitude égal à 100 %)

Il est important de souligner que la certitude de l’acheteur peut varier entre les caractéristiques d’un même produit. Lors de l’achat d’une voiture, un individu peut posséder un niveau élevé de certitude sur la valeur d’un attribut – par exemple la puissance – mais un niveau moindre ou nul sur d’autres (comme la fiabilité, la consommation, le pays de fabrication, etc.).

L’effet de « l’incertitude »

Comme nous l’avons signalé auparavant, il est assez rare qu’un individu envisage l’achat d’un produit lorsqu’il est dans une situation d’incertitude. Le plus souvent, l’acte d’achat est repoussé à plus tard, le temps de rechercher davantage d’informations, étant donné l’information est un moyen de réduire l’incertitude (Cox, 1967). Ming Hsu et ses coauteurs (2005) ont démontré que dans un contexte d’incertitude (c’est-à-dire un niveau de certitude inférieur ou égal à 50 %), « le cerveau humain est alerté du fait que l’information est manquante. Les choix basés sur l’information disponible (en mémoire) transportent alors plus de conséquences inconnues (et risquées) et des ressources comportementales et cognitives doivent donc être mobilisées afin de rechercher de l’information ».

La recherche d’informations complémentaires pouvant être menée auprès de sources commerciales (publicités, lieux de ventes, vendeurs, etc.), de sources interpersonnelles (familles, amis, bouche-à-oreille, etc.) et/ou de sources impersonnelles (associations de consommateurs, articles thématiques dans des magazines, revues spécialisées, sites et forums Internet, etc.). Les sources d’informations disponibles sont diverses.

A contrario, dans un contexte de forte certitude (c’est-à-dire un degré de certitude très largement supérieur à 50 %), un individu a moins tendance à changer d’attitude et à entreprendre une recherche d’informations complémentaires. Aussi, et il est important de le signaler, plus ce dernier sera certain de la valeur des attributs des produits, plus son choix final sera réalisé avec une grande confiance.

Par ailleurs, le besoin de certitude devient incontournable si le produit est onéreux. En effet, en règle générale, plus le prix d’un produit est élevé, plus le risque perçu dans l’achat est lui aussi plus élevé, et donc, pour amoindrir ce risque, le consommateur va entreprendre une recherche intensive d’informations sur le produit en question. Cette recherche d’informations va réduire au maximum l’incertitude qui entoure l’achat.

Le filtrage des informations

Avant d’arrêter définitivement sa décision, le consommateur doit faire un choix entre les différents produits qui s’offrent à lui. Les informations mémorisées sur les produits ne seront donc pas toutes utilisées. Un individu a tendance à réaliser son évaluation des produits sur la base d’un nombre restreint d’attributs, sept au maximum (Leclaire, 1998). De plus, ces derniers n’ont pas tous le même poids à ses yeux.

En effet, pour intégrer le processus évaluatif, ils doivent posséder trois propriétés : être important dans le choix ; discriminer fortement les produits entre eux ; être saillant dans l’esprit du consommateur. Lorsqu’un attribut possède ces trois propriétés, il est alors considéré comme un attribut déterminant.

En théorie, lors de toute décision d’achat, l’individu fait donc non seulement appel à un ou plusieurs attributs déterminants du produit. Mais, il retient également ceux pour lesquels il a un niveau élevé de certitude. La certitude sert ainsi de « filtre » pour distinguer, parmi les attributs déterminants, ceux qui méritent d’être retenus afin d’évaluer les produits (Cally, 2012). Le choix final du produit s’opère après une ultime comparaison des produits en fonction de ces attributs déterminants.

La « certitude » n’est pas toujours « exactitude »

Selon la définition du dictionnaire, la certitude est « la conviction d’être dans le vrai ». Que nous le voulions ou non, nous chérissons la certitude. Elle nous rassure et nous conforte dans nos choix. Mais la certitude n’implique pas obligatoirement l’exactitude. C’est précisément ce que Elizabeth Cowley (2004) tente de rappeler lorsqu’elle dit que « les critères les plus influents d’un produit sont ceux pour lesquels le consommateur a le plus de certitude, et cela indépendamment de leur exactitude ».

Dans bien des cas, les consommateurs ne sont pas conscients de l’inexactitude de leurs croyances. Ils peuvent donc posséder des niveaux élevés de certitude pour des croyances exactes mais aussi pour des croyances qui se révèlent inexactes concernant un produit, un service voire un comportement à tenir. Prenons un exemple : « Manger cinq fruits et légumes par jour ». Voilà un slogan que l’on connaît par cœur, et qui a même été totalement banalisé. Pourtant force est d’admettre qu’il a été fort mal compris. En réalité, cette consigne du Programme national nutrition santé (PNNS) apposée sur toutes les publicités alimentaires pour lutter contre l’obésité a été mal interprétée et, de fait, n’a pas toujours été bien appliquée. Il ne s’agit en aucune manière de manger cinq fruits et cinq légumes chaque jour (ce qui est d’ailleurs déconseillé par les nutritionnistes), mais de manger cinq portions de fruits et-ou légumes par jour. Pourtant, tout en étant certaines de bien faire, un grand nombre de personnes n’ont pas le comportement adéquat.

Pour les professionnels du marketing, l’objectif à atteindre est la vente d’un produit. Ce qui, d’une certaine manière, revient à vendre de la certitude au consommateur. En effet, l’individu doit acheter le produit promu et le racheter dans le meilleur des cas. L’objectif du marketer (et il ne faut pas en douter un seul instant) est de provoquer l’acte d’achat, coûte que coûte. Par conséquent –nous le verrons en détail dans les paragraphes suivants– ce que perçoit l’individu est, dans bien des cas, plus important que la réalité elle-même et ce qu’il perçoit avec certitude l’est davantage encore.

Comment les publicitaires peuvent-ils agir sur la certitude des individus ?

La littérature définit un certain nombre de variables pouvant influer sur la certitude des consommateurs. Nous présentons ci-après les principales techniques employées en psychologie du consommateur pour améliorer la certitude des acheteurs quand celle-ci fait défaut.

La publicité et la répétition du message publicitaire

Comme l’indique Julien Vidal (2009), « la publicité est un acte cognitif, car, pour s’adresser à l’homme, elle doit communiquer avec son esprit ». La publicité est un élément incontournable pour les marketers. C’est par elle que les entreprises façonnent leur image de marque et leur crédibilité. La répétition du message délivré permet « d’être et de rester » dans l’esprit des individus lorsqu’ils sont prêts à acheter un produit ou un service. La répétition en publicité est donc indispensable et nécessaire. Lorsque les messages sont rapprochés dans le temps, ils ont alors un effet cumulatif très puissant. L’oubli ne peut, de ce fait, pas s’exercer. En revanche, si les messages sont trop espacés, l’oubli a le temps de se manifester. Si bien qu’une partie du travail est perdue et doit être refaite. Cela entraîne une perte considérable pour les entreprises en termes d’image de marque et de notoriété. Il faut néanmoins préciser que la structure, la durée, le nombre d’arguments voire la complexité de la publicité peuvent diversement influer sur le degré de certitude du consommateur.

Améliorer la familiarité avec le produit

L’effet de la familiarité avec le produit sur la décision d’achat a largement été démontré dans divers articles de recherche. Elle fait néanmoins écho à un concept plus large, à savoir l’expérience de l’acheteur. Plusieurs chercheurs ont démontré l’existence d’une relation croissante entre expérience et certitude. Comme dit l’adage « l’essayer, c’est l’acheter ». Proposer au consommateur de tester le produit est donc l’un des meilleurs moyens pour améliorer la certitude sur la valeur des attributs. C’est précisément ce que font les concessionnaires de voitures lorsqu’ils proposent au client de faire un essai, de tester un modèle en particulier (cf. image 3). C’est une technique de vente efficace et très courante, car « l’information provenant d’une expérience directe avec l’objet de l’attitude génère des croyances qui seront détenues avec plus de certitude par rapport à d’autres formes d’informations » (Sauer, Young et Unnava, 1991).

Image 3

La satisfaction dans les achats antérieurs

Le fait d’être satisfait d’un produit contribue forcément à rendre l’information mémorisée suffisante et donc plus sûre. Lorsque les précédents achats ont procuré au consommateur la satisfaction attendue, ce dernier sera enclin à renouveler le même comportement d’achat et à partager cette information autour de lui. Aujourd’hui on ne compte plus le nombre de sites qui proposent au client de donner leur avis sur un achat, c’est ce que l’on appelle le « feedback du client » (cf. image 4) Une récente enquête réalisée par www.olimeo.com en 2011, montre d’ailleurs l’importance grandissante des avis d’internautes dans l’acte d’achat. Tout en restant prudent sur les résultats annoncés, on y apprend notamment que « 91 % des internautes pensent que les avis des consommateurs est le vecteur n° 1 dans leur prise de décision d’achat » et que « 53 % des internautes utilisent les avis des consommateurs pour choisir entre 2 ou 3 produits/services ».

Image 4

Certaines entreprises et-ou sites Internet utilisent, par exemple, un système de notation qui offre aux consommateurs ou internautes la possibilité de partager leur ressenti sur le produit (cf. image 5). Lorsque les commentaires sont positifs, cela peut clairement affecter la certitude des futurs clients. Comme le souligne David Dubois (2011), « les consommateurs étaient plus susceptibles de prendre pour argent comptant une évaluation favorable quand la confiance de l‘évaluateur était mise en exergue ». Ce procédé est d‘ailleurs de plus en plus utilisé sur les sites de vente en ligne et, en particulier, sur les sites Internet de réservation de chambres d’hôtel. En effet, les futurs clients se renseignent d’abord sur un hôtel et sa localisation en lisant les avis et notations donnés par les internautes. Ces avis peuvent aussi bien être positifs que négatifs, mais dans la majorité des cas la certitude du futur client est confortée.

Image 5

User de la stratégie des « prix imbattables »

Cette stratégie, comme son nom l’indique, consiste à proposer au consommateur un prix présenté comme imbattable (cf. image 6). C’est une politique commerciale offensive bien connue, dont le slogan phare consiste à dire : « Achetez et si vous trouvez moins cher ailleurs, l’entreprise X vous rembourse deux fois la différence ». Cette stratégie a pour objectif d’améliorer la certitude que les consommateurs accordent à la valeur prix (le plus décisif des attributs d’un produit). C’est une stratégie dont l’efficacité est redoutable. Plusieurs enseignes n’hésitent plus à l’appliquer pour convaincre les clients à acheter dans leurs établissements. L’individu a l’impression que l’achat est moins risqué et, donc, qu’il fait le bon choix. C’est un prolongement de la stratégie du « satisfait ou remboursé ». La confiance ouvertement affichée du vendeur à l’égard du prix a tendance à convaincre l’individu que le prix proposé est bel et bien imbattable.

Image 6

Utilisation des comparateurs de prix

Un comparateur de prix est un site Internet permettant aux consommateurs de comparer les services et produits proposés par de grandes enseignes. C’est un outil largement utilisé par les internautes pour se faire une idée de la variation des prix fixés entre les différents concurrents présents sur le marché. Certains distributeurs ont d’ailleurs leur propre comparateur de prix en ligne pour prouver leurs dires (cf. image 7). Ces outils se révèlent très efficaces et viennent en complément des publicités comparatives [3] que l’on retrouve habituellement sur des affiches ou dans des prospectus.

Ces comparateurs de prix en ligne, par leur fonctionnalité, permettent sans conteste d’améliorer la certitude des consommateurs dans leurs choix, car ils répondent à la question : quel établissement (ou quel produit) est le moins cher du marché ? Tridib Mazumdar et Kent B. Monroe (1992) ont montré que plus les consommateurs apprennent des informations leur permettant de procéder à une comparaison des prix, plus ils pensent que les informations qu’ils ont mémorisées sur les produits sont exactes, plus leur certitude a tendance à s’accroître. En offrant aux consommateurs un outil de comparaison des prix, certaines enseignes agissent directement sur la certitude de leurs futurs clients.

Image 7

Utilisation de la « publicité testimoniale »

C’est une technique publicitaire qui consiste à utiliser le témoignage et-ou la recommandation d’un consommateur type, d’un expert, d’une célébrité ou d’un leader d’opinion pour renforcer la crédibilité du message. Certaines marques comme Audika l’ont bien compris et l’utilisent constamment en publicité (cf. image 8).

Les téléspectateurs sont réceptifs à ce type de publicité. Il suffit qu’une célébrité recommande un (nouveau) produit pour que les ventes augmentent sensiblement. L’une des raisons ? Les consommateurs subissent la suggestion du prestige de « l’ambassadeur de la marque ». Outre les célébrités, le témoignage de « gens ordinaires » est tout aussi efficace, car il donne aux téléspectateurs l’impression de se reconnaître dans la publicité. Ils ont tendance à s’identifier à ces personnages et ont paradoxalement tendance à leur faire confiance, même s’ils savent pertinemment que ce sont des acteurs qui interprètent un rôle. Comme le souligne Robert Cialdini (1984), « nous aimons ce qui nous ressemble ». Par conséquent, plus un consommateur se reconnaît dans une publicité, plus son niveau de certitude sur les caractéristiques du produit promu peut s’accroître. Les marketers le savent pertinemment et utilisent astucieusement ce mécanisme dans leurs publicités.

Image 8

Utilisation d’un « stéréotype »

En psychologie du consommateur, un stéréotype est une idée ou une image toute faite et accentuée communément par un groupe ou une société et qui présente un caractère immuable. Dès que l’on parle de stéréotype, on a la fâcheuse habitude de penser que cela est négatif. Pourtant « il est erroné de dire que le stéréotype n’est que négatif. Il peut tout aussi bien être positif. Lorsque l’on fait référence à la rigueur allemande, à l’humour anglais, à la cuisine française, etc., on parle bien de stéréotypes, mais ils ne sont pas dévalorisants » (Blanc et Vidal, 2009).

Le stéréotype est souvent utilisé en marketing pour promouvoir un produit ou une marque. Par exemple, Smirnoff est une marque de vodka d’origine britannique, mais les publicitaires communiquent exclusivement sur l’image de la Russie (comme nous l’avons dit précédemment, la certitude ne rime pas toujours avec l’exactitude). La raison est assez simple : les managers de la marque choisissent stratégiquement de jouer sur l’ethnicité du produit [4]. D’après Leïla Loussaief (2010), la perception de la qualité d’une marque peut être influencée par l’origine à laquelle elle est associée. La Russie est un producteur historique de vodka et cette croyance perdure dans la mémoire collective. La publicité s’appuie ici sur des stéréotypes positifs et puissants liés au pays d’origine dans le but de crédibiliser le message, de renforcer la valeur perçue de la marque et donc d’affecter la certitude des acheteurs. L’auteur Nicolas Papadopoulos (1993) nomme cette politique spécifique « stratégie de l’emprunt du pays d’origine ». Les managers ont donc la possibilité, lorsque l’image de leur pays d’origine n’est pas suffisamment avantageuse pour leur marque de produits, d’améliorer leurs ventes en tirant profit d’une confusion sur l’origine.

Image 9

Conclusion

La certitude que les acheteurs accordent à leurs croyances joue un rôle primordial, voire capital, en psychologie du consommateur. Elle permet de comprendre comment ils perçoivent et sélectionnent les produits. Son impact sur le choix final est incontestable. Car, plus une information sur un produit sera estimée comme certaine par un consommateur, plus elle aura des chances d’intégrer son processus décisionnel d’achat [5].

Réferénces

1. En fonction des informations recueillies et/ou mémorisées, le consommateur va pouvoir évaluer les différentes alternatives qui se proposent à lui, évaluer la plus adaptée à son besoin et choisir celle qu’il juge la meilleure pour lui.
2. Cf. « Les médicaments génériques – Qu’en penser ? Editée par Question Santé asbl – Collection « Marchandisation », Bruxelles, 2012, 14p.
3. Technique publicitaire qui consiste à présenter les caractéristiques du produit (ou certaines de ses caractéristiques) par rapport à celles d’un produit concurrent, dans le but de montrer un avantage concurrentiel discriminant (Lehu, 2004).
4. « L’ethnicité » d’un produit est définie comme une association forte (stéréotypée) entre un produit et un pays spécifique. Une association qui a lieu dans l’esprit du consommateur, décrivant un lien catégoriel entre un type de produit ou une marque et un pays.
5. Résolution d’un acheteur potentiel à procéder à l’acte d’achat d’un bien ou d’un service en vue de satisfaire un besoin, après jugement des caractéristiques de l’offre (Lehu, 2004).

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Des réformes éducatives dans l’Amérique latine : leur relation avec l’éducation supérieure

Gabriela Prieto Loureiro
Master en Psychologie de l’Éducation. Licencié en Psychologie. Thésard en Éducation. Professeure attachée de l’Institut de Psychologie Clinique. Faculté de Psychologie. Université de la République. Uruguay.

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Comment la structure rituelle du Journal télévisé formate nos esprits

Pierre Meillet
Journaliste

Le journal télévisé est le cœur de l’information contemporaine. Principale source d’information d’une grande partie des Français, il n’était pourtant, à ses débuts, en 1949 en France, que le sous-produit de ce que n’avaient pas voulu diffuser au cinéma la Gaumont et les Actualités Françaises. Défilé d’images sur lesquels était posé un commentaire, le « présentateur » ne s’est installé dans son fauteuil qu’en 1954, quand le journal a été fixé à 20h. Depuis lors, la mise en scène n’a fait qu’aller en s’accroissant, et l’information en a été écartée —si jamais elle était présente au départ— pour faire de ce théâtre non plus un journal, mais un spectacle ritualisé, une cérémonie liturgique. Le « 20h » n’a pas pour fonction d’informer, au sens de dégager une tentative de compréhension du monde, mais bien de divertir les téléspectateurs, tout en leur rappelant toujours ce qu’ils doivent savoir.

L’analyse qui suit se base sur les deux principaux journaux télévisés de 20h français, celui de TF1 et celui de France 2, mais peut, à bien des égards, trouver des correspondances avec les journaux télévisés d’autres pays, principalement en « Occident ».

Le contexte

Fixé à 20h, le journal télévisé est devenu, comme la messe à son époque, le rendez-vous où se retrouve (chacun chez soi) toute la société. C’est un lieu de socialisation essentiel, paradoxalement. Chacun découvre chaque soir le monde dans lequel il vit, et peut dès lors en faire le récit autour de lui, en discuter les thèmes du moment avec l’assurance de leur importance, puisqu’ils ont été montré au « jt ». Tout est mis en place comme dans un rituel religieux : l’horaire fixe, la durée (une quarantaine de minutes), le présentateur-prêtre inamovible, ou presque, qui entre ainsi d’autant mieux dans le quotidien de chacun, le ton emprunté, sérieux, distant, presque objectif, mais jamais véritablement neutre, les images choisies, la hiérarchie de l’information. Comme dans tout rituel, le même revient en permanence, et s’agrège autour d’un semblant d’évolution quotidienne. Les mêmes heures annoncent les mêmes histoires, racontées par les mêmes reportages, lancées et commentées par les mêmes mots, mettant en scène les mêmes personnages, illustrées par les mêmes images. C’est une boucle sans fin et sans fond.

En ouverture, le générique lance une musique abstraite où s’entend le mélange du temps qui passe, la précipitation des événements, et une façon d’intemporel nécessaire à toute cérémonie mystique. Sur la musique, un globe précède l’apparition du présentateur, ou un travelling vers ce dernier le fait passer de l’ombre à la lumière. Tout se passe comme si le monde allait nous être révélé.

Le présentateur y tient rôle de passeur et d’authentifiant. Personnage principale et transcendantal, il se trouve au cœur du dispositif de crédibilité du 20h. C’est par lui que l’information arrive, par lui qu’elle est légitimée, rendue importante et donnée comme « vraie ». Par lui également que le téléspectateur peut être rassuré : si le monde va mal et semble totalement inintelligible, il y a encore quelqu’un qui « sait » et qui peut nous l’expliquer.

(Dans d’autre cas, c’est un duo qui présente le journal télévisé. La relation avec le téléspectateur est du coup beaucoup moins professorale et paternaliste, mais plus de l’ordre de la conversation, et peut sembler plus frivole. Bien évidemment, on ne trouvera jamais deux présentateur, ou deux présentatrices, mais toujours un duo hétérosexuel. C’est qu’il s’agit de ne pas choquer la représentation de la famille bourgeoise chrétienne. Ce type de mise en scène étant rare en France, nous ne développerons pas ce point plus avant).

Crédibilité et information

« Madame, Monsieur, bonsoir, voici les titres de l’actualité de ce lundi 6 août », nous dit le présentateur au début de chaque journal. Il ne s’agit donc pas d’un sommaire, d’un tri de la rédaction dans l’information du jour, mais bien des « titres de l’actualité », c’est-à-dire précisément de ce qu’il faut savoir du monde du jour. Il n’y a rien à comprendre, le « journalisme » ne s’applique désormais plus qu’a nous apprendre le monde. Le présentateur ne donne pas de clé, il ne déchiffre rien, il dit ce qui est. Ce n’est pas une « vision » de l’actualité qui nous est présentée, mais bien l’Actualité.

Ce qui importe, dès lors, pour lui, c’est « d’avoir l’air ». Sa crédibilité n’est pas basé sur sa qualité de journaliste, mais sur son charisme, sur l’empathie qu’il sait créer, sa manière d’être rassurant, et sur son apparence d’homme honnête et intelligent. David Pujadas peut bien annoncer le retrait d’Alain Juppé de la vie politique, et Patrick Poivre d’Arvor montrer une fausse interview de Fidel Castro, ils sont tout de même maintenus à leur poste avec l’appui de leur direction, et n’en perdent pas pour autant leur statut de « journaliste » [1] et leur crédibilité auprès du public. Tout se passe comme si l’information délivrée n’avait finalement pas d’importance. Elle n’est là que pour justifier le rituel, comme la lecture des Évangiles à la messe, mais elle n’en est en aucun cas la raison centrale, le cœur, qui se trouve toujours ailleurs, dans le rappel constant des mots d’ordres moraux, politiques et économiques de l’époque. « Voici le Bien, voici le Mal », nous dit le présentateur.

La hiérarchie de l’information est donc inexistante. Alors que l’un des premiers travail effectués dans tout « journal » est de dégager les sujets qui semblent les plus essentiels pour tenter d’en ressortir un déroulé (propre à chaque rédaction) de l’information en ordre décroissant, de l’important vers l’insignifiant, ici, point. On passe de la dépouille du cardinal Lustiger à l’accident de la Fête des Loges, puis vient le dénouement dans l’affaire de l’enlèvement du petit Alexandre à la Réunion, suivit du suicide d’un agriculteur face aux menées des anti-OGM, à quoi font suite l’allocation de rentrée scolaire, les enfants qui ne partent pas en vacances, la hausse du prix de l’électricité, la spéléologue belge coincée dans une grotte, la campagne électorale états-unienne chez les démocrates, l’intervention de Reporters sans frontière pour dénoncer l’absence de liberté d’expression en Chine, la Chine comme destination touristique, le licenciement de Laure Manaudou, un accident lors d’une course aux États-Unis, le festival Fiesta de Sète, le décès du journaliste Henri Amouroux et enfin celui du baron Elie de Rothschild [2]. Il n’y a aucune cohérence, à aucun moment. Les sujets ne semblent choisis que pour leur insignifiance quasi-générale, ou leur semblant d’insignifiance. Tout y est mélangé, l’amour et la haine, les rires et les pleurs, l’empathie se mêle au pathos, les images spectaculaires ou risibles aux drames pathétiques, et l’omniprésence de la fatalité nous rappelle toujours la prédominance de la mort sur la vie.

Le reportage

Une fois les « titres » annoncés, le présentateur en vient au lancement du reportage. Le reportage est la démonstration par l’exemple de ce que nous dit le présentateur. En effet, tout ce qui va être dit et montré dans le reportage se trouve déjà dans son lancement. Le présentateur résume toujours au lieu précisément de présenter. Cela crée de la redondance. Ce qui est dit une fois en guise d’introduction est systématiquement répété ensuite dans le reportage. Ce sont les mêmes informations qui sont énoncées, la première fois résumées, et la seconde fois étendues pour l’élaboration de l’histoire contée. Le reportage ajoute très peu de chose à ce qu’à déjà dit le présentateur, tout juste développe-t-il les détails anodins qui contrebalancent « l’objectivité » du présentateur en créant de la « proximité ». Aux éléments de départ, trouvé dans le lancement, s’ajoute ensuite à l’histoire les petits détails romanesques nécessaire à son instruction ludique.

Le reportage est constitué de deux choses : l’image et son commentaire. Or, si l’on coupe le son, l’image ne signifie plus rien. Alors même que tout devrait reposer sur elle, c’est l’inverse précisément qui se produit à la télévision : le commentaire raconte ce que l’image ne fait qu’illustrer. Cette dernière n’est là que comme faire-valoir. C’est une succession de paysages semblables, de visages et de gestes interchangeables, collés les uns à côté des autres, et sans lien entre eux. À la télévision, l’image ne sert qu’à justifier le commentaire, à l’authentifier. Elle lui permet d’apparaître comme « vrai ». Et elle le lui permet précisément parce que ne disant rien par elle-même, le commentaire peut alors la transformer en ce qu’il veut, et c’est là le principal danger de ce media. L’image possédant une force de conviction très importante, le consentement est d’autant plus simple à obtenir une fois que vous avez dépouillée l’image de tout son sens et l’avez transformée en preuve authentifiant votre discours. Tout repose donc désormais sur le commentaire, et sur la vraisemblance de l’histoire qui va nous être racontée.

« Dans le reportage, note l’anthropologue Stéphane Breton, le commentaire est soufflé depuis les coulisses, cet arrière-monde interdit au téléspectateur (…) et d’où jaillit, dans le mouvement d’une révélation, un sens imposé à l’image. La signification n’est pas à trouver dans la scène mais hors d’elle, prononcée par quelqu’un qui sait » [3]. Le journaliste n’apparaît que très rarement à la fin de son reportage. Nous entendons donc une voix sans énonciateur. C’est une parole divine qui s’impose à nous pour nous expliquer ce que nous ne pourrions comprendre en ne regardant que les images. Il n’y a pas d’interlocuteur, donc pas de contradiction. Le reportage est un fil qui se déroule suivant une logique propre, celle que le journaliste veut nous donner à apprendre, où les « témoins » ne se succèdent que pour accréditer la parole qui a de toute manière déjà dit ce qu’ils vont nous expliquer. Comme avec le lancement, la redondance est omniprésente dans le reportage. Tout « témoin » est présenté non pas selon sa fonction, ni dans le but de justifier sa place dans ce reportage à ce moment là, mais suivant ce qu’il va nous dire. Et la parole du « témoin » accrédite le commentaire en donnant un point de vue nécessairement « vrai ». « Puisqu’il le dit, c’est que c’est comme ça ». Et bien souvent, le « témoin » n’a strictement rien à dire, mais va le dire tout de même, le journaliste devant faire la preuve de son objectivité et de l’authenticité de son reportage, de son enquête, en démontrant qu’il s’est bien rendu sur place et qu’il peut donc nous donner à voir ce qui est.

Le reportage, au journal télévisé, n’est pas la réalisation d’une enquête qui explore différentes pistes, mais le récit d’un fait quelconque montré comme fondamental. C’est une vision du monde sans alternative, qui tente d’apparaître comme purement objective. Si le présentateur dit ce qui est, le reportage, lui, le montre. Et c’est précisément là que l’image pêche par son non-sens, et que le commentaire semble devenir parole divine. « Voici le monde », nous dit l’un, « et voilà la preuve », poursuit le reportage. Et comment contester la preuve alors qu’elle nous est présentée, là, sous nos yeux ébahis ? La réalité se construit sur l’anecdote, et non plus sur un ensemble de faits plus ou moins contradictoires qui permettent de regarder une situation dans une tentative de vision globale pour pouvoir ensuite en donner une analyse.

Les mots d’ordre

Tout cela se rapporte à la logique de diffusion de la morale. Le journal télévisé, comme la quasi-totalité des médias, est un organe de diffusion des mots d’ordre de l’époque. Il ne discute jamais le système, il ne semble d’ailleurs même pas connaître son existence, mais diffuse à flux tendus les ordres que la classe dominante édicte. Le journal télévisé fait partie de ce « service public », dont parle Guy Debord dans les Commentaires sur la société du spectacle, « qui [gère] avec un impartial « professionnalisme » la nouvelle richesse de la communication de tous par mass media, communication enfin parvenue à la pureté unilatérale, où se fait paisiblement admirer la décision déjà prise. Ce qui est communiqué, ce sont des ordres ; et, fort harmonieusement, ceux qui les ont donnés sont également ceux qui diront ce qu’ils en pensent » [4] .

Le 20h, issu d’une société où la mémoire a été détruite, transmet les mots d’ordre, comme pour tout conditionnement, par la répétition permanente et quotidienne. Les histoires racontées semblent toutes différentes, quand bien même elles sont finalement toutes semblables. Tout y est répété, soir après soir, constamment, et à tous les niveaux. Seuls les noms et les visages changent, mais le film, lui, reste toujours identique. C’est un perpétuel présent qui est montré et qui permet d’occulter tous les mouvements du pouvoir. Les évolutions n’étant plus jamais mises en lumière, c’est bien qu’elles n’ont plus cours. Le journal télévisé diffuse donc la morale bourgeoise (chrétienne et capitaliste) en bloc compact. C’est un vomi long et lent qui s’écoule, dilué et disséminé tout au long du 20h. Ils connaissent plusieurs modes de diffusions :

– L’accusation. Elle est constante, et généralement dite par les « témoins », ce qui permet de faire croire au journaliste qu’il a donné à voir un « avis », et qu’il a donc rendu un regard objectif de la situation. Un incendie ravage une maison, et ce sont les pompiers qui auraient dû arriver plus tôt. Un violeur est sorti de prison parce qu’il avait droit à une remise de peine, et c’est la justice qui dysfonctionne. Un gouvernement refuse de se plier aux injonctions occidentales, et c’est une dictature, un pays sous-développé où la stupidité se mêle à la barbarie, et mieux encore, où la censure bâillonne tous les opposants, qui sont eux nécessairement d’accord avec le point de vue des occidentaux mais ne peuvent pas le dire. Il s’agit toujours de trouver quelqu’un à vouer aux gémonies pour rappeler ce qui est « bien » et ce qui est « mal », et où l’on retrouve toute la sémantique chrétienne du « pardon », de la « déchéance », etc.

– L’évidence. Particulièrement utilisée pour régler sans discussions les questions économiques, elle consiste à diffuser les dogmes ou les décisions gouvernementales sans jamais les remettre en question. C’est par exemple le cas de la « croissance », qui est toujours la voie nécessaire à la survie jamais remise en cause et dont le présentateur nous annonce les chiffres avec un air catastrophé : « la croissance ne sera que de 1,2 % cette année selon les experts »…

– L’hagiographie. Commme à la messe, le journal télévisé a ses saints à mettre en avant. C’est le portrait de quelqu’un qui a « réussi », soit qu’il vienne de mourir, soit qu’il ait « tout gagné », soit qu’il se soit « fait tout seul », etc. C’est le prisme de l’exception qui édicte le modèle à suivre en suscitant admiration et respect. « Voilà ce que vous n’êtes pas, que vous devriez être, mais ne pourrez jamais devenir, et que vous devez donc adorer », nous répète le journal télévisé en permanence.

– Le voisinage. Particulièrement efficace, il s’agit de dire que « la France est le dernier pays en Europe à aborder cette question ». C’est le mécanisme qui régit la sociabilité de base, l’appartenance au groupe par l’imitation, par la reproduction de ce qu’il semble faire ou être. Le présentateur nous dit alors « eux font comme cela, pourquoi faisons nous autrement ? », présupposant que notre manière de faire est nécessairement moins bonne. « Travailler après 65 ans, aux États-Unis ça n’est pas un problème ». Aucune analyse n’est jamais donnée des points positifs et négatifs du système voisin, seulement un regard « objectif », qui dit : « voilà comment ça se passe là, et pourquoi c’est mieux que chez nous ».

– Le folklore. Ici sont présentés, avec le sourire aux lèvres et l’indulgence pour l’artiste un peu fou mais qui ne fait finalement pas de mal, des gens qui vivent un peu autrement. C’est alors, et seulement dans ce genre de sujet, que le présentateur souligne le caractère « exceptionnel » des personnes qui vont nous être présentées, pour dissuader quiconque de suivre leur exemple.

Ce ne sont là que quelques exemples.

Anecdote et fatalité

Deux modes de représentation du monde bercent principalement le journal télévisé, et sont les deux principaux mouvements de diffusion des mots d’ordre : l’anecdote et la fatalité.

L’anecdote se trouve au début de chaque sujet. Tout part du fait particulier, du fait divers du jour, et s’étend vers le problème plus vaste qu’il semble contenir en lui-même, ou que les journalistes font mine de croire qu’il contient. C’est une rhétorique particulière qui se retrouve aujourd’hui à la base de tous les discours politiques ou journalistiques, un renversement de la logique, du déroulement effectif de la démonstration et de l’analyse du monde : c’est l’exception qui explique désormais la règle, qui la construit. Tout part du fait particulier pour se prolonger, comme si ce dernier détenait en lui toutes les causes et toutes les conséquences qui ont fondé la situation plus générale qu’il est censé démontrer. Le 20h ne se préoccupe jamais de décrire des phénomènes endémiques, ou les sort toujours de la chaîne d’événements qui les a amené à la situation présente. C’est une nécessité dialectique logique pour qui veut transmettre les consignes sans se mettre en devoir de les expliquer, sans quoi il se trouve obligé d’apporter de la complication à sa démonstration et se rend compte que les choses sont moins simples qu’il ne voulait les faire paraître. Pour que les mots d’ordre soient diffusés efficacement, il ne faut pas donner la possibilité d’être contredit, donc il vaut mieux ne rien expliquer. De toute manière, nous l’avons dit, il ne s’agit jamais de donner à comprendre, mais toujours à apprendre.

La fatalité, elle, berce l’ensemble du journal télévisé. Les événements arrivent par un malheurs contingent, un hasard distrait qui touche malencontreusement toujours les mêmes (personnes, pays…). C’est une lamentation constante : « si les pompiers étaient arrivés plus tôt », « si le violeurs n’était pas sorti de prison », « si l’Afrique n’était pas un continent pauvre et corrompu », etc. Elle est la base de toute religion puisqu’elle permet de ne rien avoir jamais à justifier, et rappel le devoir de soumission face à la transcendance, puisque nous sommes toujours « dépassés ». La fatalité revient sonner en permanence comme une condamnation, et ajoute avec dépit (mais pas toujours) : « c’est comme ça ». Le système se régule tout seul et est « le meilleur des systèmes possibles », l’homme est un être « mauvais » et passe son temps à « chuter » et à « rechuter » malgré toutes les tentatives de lui « pardonner », le pauvre est responsable de sa situation parce qu’il est trop fainéant pour chercher des solutions et les mettre en application alors même qu’on les lui donne, etc. C’est un soupir constant, un appel permanent à l’impuissance et à la soumission face à la souffrance. Le monde va et nous n’y pouvons rien…

Une fois les mots d’ordre transmis, le messager divin peut nous donner congé, concluant le sermon du jour en n’omettant jamais de nous donner rendez-vous le lendemain à la même heure, puis disparaît, rangeant les papiers qui font foi de son sérieux, la caméra s’éloignant, l’ombre grandissant, et se fondant progressivement dans cette sorte de musique qui ouvrait déjà la cérémonie.

Références

1. Patrick Poivre d’Arvor, reconnnu comme la star du journalisme français, n’a pas de carte de presse car ses revenus principaux ne proviennent pas du journalisme, mais de ses activités de conseil et d’écriture.
2. 20h de France 2, lundi 6 août 2007.
3. Stéphane Breton, Télévision, Hachette Littérature, 2005.
4. Guy Debord, Commentaires sur la société du spectacle, Gallimard, Folio, 1996.

Par la gentillesse de Réseau Voltaire

Le désordre créateur

Ilya Prigogine
Prix Nobel de Chimique 1977

Les opinions à propos du temps sont, souvent, variées et contradictoires. Un physicien dirait que ça a été introduit par Newton et que le problème que cette notion présente a été globalement résolut. Les philosophes pensent d’une façon complètement différente : ils rélationent le temps avec d’autres notions, comme le devenir et l’irréversibilité. Pour eux, le temps continue à être une question fondamentale. Il me semble que cette divergence de point de vue est la césure plus nette dans la tradition intellectuelle occidentale. D’un coté, la pensée occidental a accouché la science et par conséquence au déterminisme ; d’un autre coté, cette même pensée ha apportée l’humanisme, que nous remet, plus tôt , vers les idées du responsabilité et créativité.

Des philosophes comme Bergson ou Heidegger, ont affirmé que le temps n’est pas un sujet de la physique mais de la métaphysique. Pour eux, le temps appartient clairement à un registre différent, sur lequel la science n’a rien à dire. Mais ceux penseurs disposaient des moins des utiles théoriques de ces qu’on a aujourd’hui.

Personnellement, je considère que le temps germe du complexe. Un brique du paléolithique et u brique du siècle XIX son identiques, mais les édifications desquelles ils faisaient partie n’ont rien en commun : pour voir le temps apparaître il faut prendre le tout en considération.

Le non équilibre, source de structure

Les travaux que j’ai réalisés il y a une trentaine d’années ont démontre que le non équilibre est générateur du temps, d’irréversibilité et déconstruction. Jusqu’à ce moment là, pendant le siècle XIX et une grande partie du siècle XX, les scientifiques s’étaient intéressés, sur tout, dans les états d’équilibre. Puis ils ont commencé a étudié les états proches de l’équilibre. De cette façon, el est devenue évidant le fait que du moment auquel il se produit un petit éloignement de l’équilibre thermodynamique, on observe la coexistence des phénomènes d’ordre et des phénomènes de désordre. On ne peut pas alors, identifier irréversibilité et désordre.

L’éloignement de l’équilibre nous réserve de surprises. On se rend compte de que on ne peut pas prolongé ce qu’on a appris en état d’équilibre. On découvre de nouvelles situations et de fois, plus organisées que quand il y a de l’équilibre : il s’agît de ce que j’appelle de points de bifurcation (1), des solutions à des équations non linéales. Une équation non linéale admette fréquemment plusieurs solutions : l’équilibre ou la proximité à l’équilibre constituent une solution de cette équation, mais elle n’est pas la seule solution.

Ainsi, le non équilibre est créateur des structures, nommées dissipatives, puisqu’elles existent loin de l’équilibre et ils exigent pour survivre une certaine dissipation d’énergie et par conséquence, la manutention d’une interaction avec le monde extérieure. De la même façon qu’une ville qu’existe pendant qu’elle fonctionne et qu’elle maintienne des échanges avec l’extérieur, la structure dissipative disparaît quand elle cesse d’être alimentée.

Il a été très surprennent de découvrir que, loin de l’équilibre, la matière a des nouvelles propriétés. Aussi, c’est sombrant la variété des comportements possibles. Les réactions chimiques oscillantes sont un bon échantillon de ce-ci. Par exemple, le non équilibre conduit, entre autre, à des phénomènes ondulatoires, dans lesquels le merveilleux est que ils sont gouvernés par des lois extrêmement cohérents. Ces réactions ne sont pas patrimoine exclusif de la Chimique : L’hydrodynamique et l’optique ont ses propres particularités.

Dans l’équilibre, la matière est aveugle ; loin de l’équilibre la matière voit

Finalement, les situations proches de l’équilibre sont caractérisées par un minimum de quelque chose (énergie, entropie, etc.), au quelle une réaction d’amplitude petite le fait retourner s’ils s’éloignent un peu de lui. Loin de l’équilibre il n’y a pas de valeurs extrêmes. Les fluctuations ne sont plus AMORTIGUAR. Par conséquence, les réactions observées loin de l ‘équilibre son distingué avec plus de netteté, donc, beaucoup plus intéressantes. En l’équilibre, la matière est aveugle, pendant que loin de l’équilibre, la matière capte des corrélations : la matière voit. Tout cela, conduit à une conclusion paradoxe de que le non équilibre est source de structure.

Le non équilibre est une interface entre science pure et science appliqué, même si les applications des ces observations à la technologie soient uniquement dans ses débuts. Au présent, on commence a comprendre que la vie est, probablement, le résultat d’une évolution que se conduit vers des systèmes chaque fois plus complexes. Il est vrai qu’on ne connaît pas exactement le mécanisme qui a produit les premières molécules capables de se reproduire. La nature s’en serve du non équilibre pour ses structures les plus complexes. La vie a une technologie admirable, que très fréquemment on n’arrive pas à comprendre.

Penser en thermes de probabilités, non de trajectoires

Le non équilibre ne peut pas être formaliser a travers d’équations déterministes. En effet, il y a plusieurs bifurcations et quand les expériences ses répètent, le chemin suivit n’est pas toujours le même. Donc, le phénomène est déterministe entre les bifurcations, mais il est totalement aléatoire dans les bifurcations. Ce-ci entre en directe contradiction avec les lois de Newton ou d’Einstein, qui nient le déterminisme. Evidemment, cette contradiction m’a beaucoup préoccupé. ¿Comment la supères ? La théorie dynamique actuelle nous offre des outils particulièrement intéressants sur ce sujet.

Contrairement a ce que Newton pensait, on sait maintenant que les systèmes dynamiques ne sont pas tous identiques. On distingue deux types de systèmes : les systèmes stables et les systèmes instables. Entre les systèmes instables, il y a un type particulièrement intéressant, associé avec le chaos déterministe. Dans le chaos déterministe, les lois microscopiques sont déterministes mais les trajectoires prennent un aspect aléatoire, que procède de la «sensibilité aux conditions initiales » : la plus petite variation des conditions initiales implique divergences exponentielles. Dans un seconde type des systèmes, la instabilité arrive à détruire les trajectoires (systèmes non intégrables de Poincaré). Une particule n’en a plus une trajectoire unique, sinon que des différentes trajectoires sont possibles, chacune soumise à une probabilité.

On groupera ces systèmes sous le nom de chaos. ¿Comment traiter ce monde instable ? Au lieu de penser en trajectoires, il est convenaient de penser en termes de probabilités. Alors, il est possible de réaliser des prédictions pour de groupes de systèmes. La théorie du chaos est d’une serte façon similaire à la mécanique quantique. Il faut étudier dans le champ statistique les fonctions propres de l’operateur d’évolution (faire un analyses de spectre correspondent). En autres termes, la théorie du chaos doit être formulé au nivaux statistique, mais ceci signifie que la loi de la nature prend un nouveau significat. Au lieu de nous parler de certitude, elle nous parle de possibilité, de probabilité.

La flèche du temps est, simultanément l’élément commun de n’univers et le facteur de distinction entre le stable e l’instable, entre l’organisé et le chaos. Pour aller plus loin en cette réflexion, il est nécessaire d’élonger les méthodes d’analyses de la physique quantique, spécialement sortant de l’espace euclidien (l’espace de Hilbert, dans un sens fonctionnel) au centre duquel il est définit. On à de la chance que des mathématiciens français, sur tout Laurent Schwartz, on décrit une nouvelle mathématique, qui permet appréhender les phénomènes du chaos et les décrire dans le champ statistiques.

Mais le chaos n’explique pas tout. L’Histoire et l’Economie son instables : ils présentent l’apparence du chaos, mais ils n’obéissent les lois déterministes subjacentes. Le simple procès de prise de décision, essentiel dans la vie d’une entreprise, recourt à un tell numéro de facteurs inconnus qu’il serait illusoire de penser que le cours de l’histoire peut se modeler à travers une théorie déterministe.

Le deuxième type des systèmes instables mentionné auparavant est connu sous la dénomination de systèmes de Poincaré. Les phénomènes de résonance jouent en eux un papier fondamental, puisque le couplement de deux phénomènes dynamiques donne lieu à des nouveaux phénomènes dynamiques. Ces phénomènes peuvent être incorporé dans les descriptions statistiques et peuvent conduire à des différences avec les lois de la mécanique classique newtonienne ou la mécanique quantique. Ces différences sont manifestes dans les systèmes dans lesquels se produisent des coalisions persistantes, comme dans les systèmes thermodynamiques. La nouvelle théorie démontre que on peut tendre un pont entre la dynamique thermodynamique, entre le réversible et l’irréversible.

L ‘instabilité ne doit pas nous conduire à l’immobilité

On se retrouve dans un période « gond » de la science. Jusqu’au présent, la pensée soulignait la stabilité et l’équilibre. Il n’est plus comme ça. Newton même avait suspecté l’instabilité du monde, mais il a écarté l’idée puisque il la trouvé insupportable. Aujourd’hui, on est capable des nous écartes des préjuges du passé. On doit intégrer l’idée d’instabilité dans notre représentation de l’univers. L’instabilité ne doit pas conduire à l’immobilité. Au contraire, on doit étudier les raisons de cette instabilité, ayant comme but décrire le monde dans sa complexité et commencer à réfléchir sur la façon de se comporter en ce monde. Karl Popper disait qu’il existe la physique des horloges et la physique des nuages. Après avoir étudié la physique des horloges, maintenant on doit étudier la physique des nuages.

La physique classique était fondée sur un dualisme : d’un coté, l’univers traité comme un automate ; d’un autre, l’être Humain. On peut réconcilier la description de l’univers avec la créativité humaine. Le temps ne sépare plus l’être humain de l’univers.

Notes

1. Les points de bifurcation sont des points singuliers qui correspondent à des changements de phase dans le non équilibre.

La publication de ce texte est expressément autorise par Mme Maryna Prigogine

ILYA PRIGOGINE
Prix Nobel de Chimique 1977

La publication de ce texte est expressément autorise par Mme Maryna Prigogine

Les opinions à propos du temps sont, souvent, variées et contradictoires. Un physicien dirait que ça a été introduit par Newton et que le problème que cette notion présente a été globalement résolut. Les philosophes pensent d’une façon complètement différente : ils rélationent le temps avec d’autres notions, comme le devenir et l’irréversibilité. Pour eux, le temps continue à être une question fondamentale. Il me semble que cette divergence de point de vue est la césure plus nette dans la tradition intellectuelle occidentale. D’un coté, la pensée occidental a accouché la science et par conséquence au déterminisme ; d’un autre coté, cette même pensée ha apportée l’humanisme, que nous remet, plus tôt , vers les idées du responsabilité et créativité.

Des philosophes comme Bergson ou Heidegger, ont affirmé que le temps n’est pas un sujet de la physique mais de la métaphysique. Pour eux, le temps appartient clairement à un registre différent, sur lequel la science n’a rien à dire. Mais ceux penseurs disposaient des moins des utiles théoriques de ces qu’on a aujourd’hui.

Personnellement, je considère que le temps germe du complexe. Un brique du paléolithique et u brique du siècle XIX son identiques, mais les édifications desquelles ils faisaient partie n’ont rien en commun : pour voir le temps apparaître il faut prendre le tout en considération.

Le non équilibre, source de structure

Les travaux que j’ai réalisés il y a une trentaine d’années ont démontre que le non équilibre est générateur du temps, d’irréversibilité et déconstruction. Jusqu’à ce moment là, pendant le siècle XIX et une grande partie du siècle XX, les scientifiques s’étaient intéressés, sur tout, dans les états d’équilibre. Puis ils ont commencé a étudié les états proches de l’équilibre. De cette façon, el est devenue évidant le fait que du moment auquel il se produit un petit éloignement de l’équilibre thermodynamique, on observe la coexistence des phénomènes d’ordre et des phénomènes de désordre. On ne peut pas alors, identifier irréversibilité et désordre.

L’éloignement de l’équilibre nous réserve de surprises. On se rend compte de que on ne peut pas prolongé ce qu’on a appris en état d’équilibre. On découvre de nouvelles situations et de fois, plus organisées que quand il y a de l’équilibre : il s’agît de ce que j’appelle de points de bifurcation (1), des solutions à des équations non linéales. Une équation non linéale admette fréquemment plusieurs solutions : l’équilibre ou la proximité à l’équilibre constituent une solution de cette équation, mais elle n’est pas la seule solution.

Ainsi, le non équilibre est créateur des structures, nommées dissipatives, puisqu’elles existent loin de l’équilibre et ils exigent pour survivre une certaine dissipation d’énergie et par conséquence, la manutention d’une interaction avec le monde extérieure. De la même façon qu’une ville qu’existe pendant qu’elle fonctionne et qu’elle maintienne des échanges avec l’extérieur, la structure dissipative disparaît quand elle cesse d’être alimentée.

Il a été très surprennent de découvrir que, loin de l’équilibre, la matière a des nouvelles propriétés. Aussi, c’est sombrant la variété des comportements possibles. Les réactions chimiques oscillantes sont un bon échantillon de ce-ci. Par exemple, le non équilibre conduit, entre autre, à des phénomènes ondulatoires, dans lesquels le merveilleux est que ils sont gouvernés par des lois extrêmement cohérents. Ces réactions ne sont pas patrimoine exclusif de la Chimique : L’hydrodynamique et l’optique ont ses propres particularités.

Dans l’équilibre, la matière est aveugle ; loin de l’équilibre la matière voit

Finalement, les situations proches de l’équilibre sont caractérisées par un minimum de quelque chose (énergie, entropie, etc.), au quelle une réaction d’amplitude petite le fait retourner s’ils s’éloignent un peu de lui. Loin de l’équilibre il n’y a pas de valeurs extrêmes. Les fluctuations ne sont plus AMORTIGUAR. Par conséquence, les réactions observées loin de l ‘équilibre son distingué avec plus de netteté, donc, beaucoup plus intéressantes. En l’équilibre, la matière est aveugle, pendant que loin de l’équilibre, la matière capte des corrélations : la matière voit. Tout cela, conduit à une conclusion paradoxe de que le non équilibre est source de structure.

Le non équilibre est une interface entre science pure et science appliqué, même si les applications des ces observations à la technologie soient uniquement dans ses débuts. Au présent, on commence a comprendre que la vie est, probablement, le résultat d’une évolution que se conduit vers des systèmes chaque fois plus complexes. Il est vrai qu’on ne connaît pas exactement le mécanisme qui a produit les premières molécules capables de se reproduire. La nature s’en serve du non équilibre pour ses structures les plus complexes. La vie a une technologie admirable, que très fréquemment on n’arrive pas à comprendre.

Penser en thermes de probabilités, non de trajectoires

Le non équilibre ne peut pas être formaliser a travers d’équations déterministes. En effet, il y a plusieurs bifurcations et quand les expériences ses répètent, le chemin suivit n’est pas toujours le même. Donc, le phénomène est déterministe entre les bifurcations, mais il est totalement aléatoire dans les bifurcations. Ce-ci entre en directe contradiction avec les lois de Newton ou d’Einstein, qui nient le déterminisme. Evidemment, cette contradiction m’a beaucoup préoccupé. ¿Comment la supères ? La théorie dynamique actuelle nous offre des outils particulièrement intéressants sur ce sujet.

Contrairement a ce que Newton pensait, on sait maintenant que les systèmes dynamiques ne sont pas tous identiques. On distingue deux types de systèmes : les systèmes stables et les systèmes instables. Entre les systèmes instables, il y a un type particulièrement intéressant, associé avec le chaos déterministe. Dans le chaos déterministe, les lois microscopiques sont déterministes mais les trajectoires prennent un aspect aléatoire, que procède de la «sensibilité aux conditions initiales » : la plus petite variation des conditions initiales implique divergences exponentielles. Dans un seconde type des systèmes, la instabilité arrive à détruire les trajectoires (systèmes non intégrables de Poincaré). Une particule n’en a plus une trajectoire unique, sinon que des différentes trajectoires sont possibles, chacune soumise à une probabilité.

On groupera ces systèmes sous le nom de chaos. ¿Comment traiter ce monde instable ? Au lieu de penser en trajectoires, il est convenaient de penser en termes de probabilités. Alors, il est possible de réaliser des prédictions pour de groupes de systèmes. La théorie du chaos est d’une serte façon similaire à la mécanique quantique. Il faut étudier dans le champ statistique les fonctions propres de l’operateur d’évolution (faire un analyses de spectre correspondent). En autres termes, la théorie du chaos doit être formulé au nivaux statistique, mais ceci signifie que la loi de la nature prend un nouveau significat. Au lieu de nous parler de certitude, elle nous parle de possibilité, de probabilité.

La flèche du temps est, simultanément l’élément commun de n’univers et le facteur de distinction entre le stable e l’instable, entre l’organisé et le chaos. Pour aller plus loin en cette réflexion, il est nécessaire d’élonger les méthodes d’analyses de la physique quantique, spécialement sortant de l’espace euclidien (l’espace de Hilbert, dans un sens fonctionnel) au centre duquel il est définit. On à de la chance que des mathématiciens français, sur tout Laurent Schwartz, on décrit une nouvelle mathématique, qui permet appréhender les phénomènes du chaos et les décrire dans le champ statistiques.

Mais le chaos n’explique pas tout. L’Histoire et l’Economie son instables : ils présentent l’apparence du chaos, mais ils n’obéissent les lois déterministes subjacentes. Le simple procès de prise de décision, essentiel dans la vie d’une entreprise, recourt à un tell numéro de facteurs inconnus qu’il serait illusoire de penser que le cours de l’histoire peut se modeler à travers une théorie déterministe.

Le deuxième type des systèmes instables mentionné auparavant est connu sous la dénomination de systèmes de Poincaré. Les phénomènes de résonance jouent en eux un papier fondamental, puisque le couplement de deux phénomènes dynamiques donne lieu à des nouveaux phénomènes dynamiques. Ces phénomènes peuvent être incorporé dans les descriptions statistiques et peuvent conduire à des différences avec les lois de la mécanique classique newtonienne ou la mécanique quantique. Ces différences sont manifestes dans les systèmes dans lesquels se produisent des coalisions persistantes, comme dans les systèmes thermodynamiques. La nouvelle théorie démontre que on peut tendre un pont entre la dynamique thermodynamique, entre le réversible et l’irréversible.

L ‘instabilité ne doit pas nous conduire à l’immobilité

On se retrouve dans un période « gond » de la science. Jusqu’au présent, la pensée soulignait la stabilité et l’équilibre. Il n’est plus comme ça. Newton même avait suspecté l’instabilité du monde, mais il a écarté l’idée puisque il la trouvé insupportable. Aujourd’hui, on est capable des nous écartes des préjuges du passé. On doit intégrer l’idée d’instabilité dans notre représentation de l’univers. L’instabilité ne doit pas conduire à l’immobilité. Au contraire, on doit étudier les raisons de cette instabilité, ayant comme but décrire le monde dans sa complexité et commencer à réfléchir sur la façon de se comporter en ce monde. Karl Popper disait qu’il existe la physique des horloges et la physique des nuages. Après avoir étudié la physique des horloges, maintenant on doit étudier la physique des nuages.

La physique classique était fondée sur un dualisme : d’un coté, l’univers traité comme un automate ; d’un autre, l’être Humain. On peut réconcilier la description de l’univers avec la créativité humaine. Le temps ne sépare plus l’être humain de l’univers.

NOTE

(1) Les points de bifurcation sont des points singuliers qui correspondent à des changements de phase dans le non équilibre.