Durée du traitement, perspective future et adhésion thérapeutique chez des patients sous antirétroviraux en Côte d’Ivoire

Hassan Guy Roger Tieffi
Docteur en Psychologie. Enseignant Chercheur au Centre Ivoirien d’Etude et de Recherche en Psychologie Appliquée (CIERPA), UFR des Sciences de l’Homme et de la Société, Université de Cocody-Abidjan

Résumé

L’étude a pour objectif d’examiner le lien entre, d’une part la durée du traitement et la perspective future, et d’autre part l’adhésion thérapeutique chez des patients en Côte d’Ivoire. 150 personnes (52 hommes et 98 femmes) vivant avec le VIH/SIDA, sous traitement antirétroviraux (ARV) ont participé à l’enquête. Ils forment trois groupes : les patients de moins d’un an de traitement, ceux qui ont une durée de traitement située entre 1 et 5 ans, et le groupe de patients qui a plus de 5 ans de traitement. Ils ont tous été soumis aux six items de la dimension future de la version courte de l’échelle de temporalité (ZTPI) de Fieulaine, Apostolidis et Olivetto (2006) issue de la validation française de Apostolidis et Fieulaine (2004), et à un questionnaire évaluant le niveau d’adhésion au traitement ARV. Les résultats montrent que lorsque les patients sont en début de traitement, ils adhèrent plus à la thérapie par rapport à ceux qui ont plus de 5 ans de traitement. Ils indiquent également que les patients de niveau d’adhésion élevé se retrouvent dans le groupe d’individus ayant une temporalité future étendue. Ces informations pourraient être exploitées par les équipes médicales dans la prise en charge des personnes infectées en Côte d’Ivoire.

Mots-clés : durée du traitement, temporalité, perspective future, antirétroviraux, VIH/SIDA, adhésion thérapeutique

Abstract

The study aims to examine the relationship between, on the one hand, the duration of treatment and the future perspective, and other therapeutic adherence among patients in Côte d’Ivoire. 150 people (52 men and 98 women) living with HIV/AIDS under antiretroviral (ARV) treatment participated in the survey. They form three groups: patients less than one year of treatment, those with treatment duration of 1 to 5 years, and the group of patients with more than 5 years of treatment. They have all been subject to six items concerning the future of the short version of the scale of temporality (ZTPI) of Fieulaine Apostolidis and Olivetto (2006) after the French validation and Fieulaine Apostolidis (2004), and a questionnaire assessing the level of adherence to ARV treatment. The results show that when patients are at the beginning of treatment, they adhere more to therapy than those who have more than 5 years of treatment. They also indicate that patients with high adhesion can be found in the group of individuals with a future temporal extent. This information could be used by medical personnel in the care of infected persons in Côte d’Ivoire.

Keywords : duration of treatment, temporality, future perspective, antiretroviral, HIV/AIDS, treatment adherence

1. Problématique

A l’époque de la découverte du Virus de l’Immunodéficience Humaine (VIH) en 1980, la sensibilisation était le seul moyen dont disposait la médecine pour lutter contre l’infection par ce virus. Puis, avec les progrès scientifiques réalisés dans le domaine médical et l’évolution des connaissances sur cette infection, il y a eu l’apparition des antirétroviraux (ARV) cela fait maintenant plusieurs années. Cette découverte majeure a révolutionné le traitement de cette infection, et depuis cette période jusqu’à nos jours, les ARV restent encore officiellement la thérapeutique la plus efficace pour stabiliser le patient au niveau métabolique.

La mise sous le marché et l’introduction des ARV dans le traitement des personnes vivant avec le VIH/SIDA ne se sont pas faites à la même échelle dans toutes les parties du monde touchées par cette pandémie. En effet, ce traitement qui était véritablement une innovation médicale, n’était pas particulièrement accessible à tous les patients des pays africains, notamment à ceux des pays au Sud du Sahara où le taux de prévalence est le plus élevé du monde (ONUSIDA, 2002) à cause de sa disponibilité et de son coût (Kanga, sous presse). Cette situation était le cas de la Côte d’Ivoire, où depuis la découverte des premiers cas en 1985, la population de malades n’a fait que croitre faisant de ce pays la zone la plus affectée de l’Afrique de l’Ouest avec une séroprévalence moyenne de 10 % en 2001 (valeur légèrement en baisse ces dernières années) (UNFPA Côte d’Ivoire, 2009). Ce n’est qu’en août 2008 qu’un décret du Ministère de la Santé et de l’Hygiène Publique rend totalement gratuite la distribution des ARV aux personnes vivant avec le VIH/SIDA dans toutes les structures sanitaires en Côte d’ivoire (PEPFAR, 2008).

Cette avancée thérapeutique, maintenant vulgarisée dans presque tous les pays, classe l’infection au VIH parmi les maladies chroniques puisque la prise des ARV est un traitement à vie (Baszanger, 1986, Vaillant, 2008). Ce type de traitement qui dure toute la vie, et qui nécessite le respect des prescriptions médicales pour être efficace, demande une implication du patient lui-même donc une adhésion à ce traitement.

Selon Baudrant-Boga (2009), « l’adhésion correspond au degré d’acceptation du patient vis-à-vis de sa thérapeutique ». En d’autres termes, c’est une appropriation réfléchie de la part du patient de la prise en charge de sa maladie et de ses médicaments liée au désir de rester attaché aux recommandations médicales et de les appliquer de façon rigoureuse (Baudrant-Boga, Holtzmann, Allenet, Debeauchamp et Giraud-Baro, 2009 ; Price, 2008 ; Vervloet, 2006). Selon Sarradon-Eck, Egrot, Blanc et Faur (2008), l’adhésion au traitement ou l’adhésion thérapeutique du malade correspond à l’adéquation entre les perceptions du patient et celles du médecin concernant l’intérêt du traitement. Pour ces auteurs, c’est la condition à l’acceptation du traitement. C’est la raison pour laquelle l’adhésion est différente de l’observance qui met plutôt l’accent sur le respect des prescriptions médicales. Dans l’observance, le centre d’intérêt c’est le médecin avec sa prescription qu’il impose en quelque sorte au patient ; alors que dans l’adhésion le médecin et le patient s’accordent sur tous les facteurs qui entraveraient les prises médicamenteuses.

La littérature scientifique consacrée à cette notion d’adhérence thérapeutique indique qu’elle est sous l’influence d’une multitude de facteurs qui peuvent se regrouper autour des éléments suivants : la maladie, le traitement, les facteurs démographiques et socio-économiques, le système de soins, le patient et/ou son entourage (Baudrant-Boga 2009 ; Delfraissy, 2004 ; Galand, Salès-Wuillemin et Amiel, 2010). Dans le cas particulier de l’infection au VIH, ces facteurs ont été longuement examinés dès l’apparition des ARV, et de plus en plus, les travaux se cristallisent actuellement sur des facteurs liés au patient lui-même. Car, même si les mentalités ont beaucoup évoluées, les individus restent encore attachés à l’idée qu’une personne atteinte de VIH/SIDA a une espérance de vie très limitée, et les prises médicamenteuses ne font que retarder de quelques années la date de décès (Beltzez, Saboni, Sauvage et Sommen, 2011 ; Sow et Desclaux, 2002). Cette conception, fondée essentiellement sur des aspects subjectifs, et répandue au sein des populations, pourrait influer sur la motivation des patients à suivre correctement un traitement ARV. Elle pose, aussi et surtout, le problème de l’importance du temps en termes de durée et de vécu de la personne vivant avec le VIH dans l’adhésion au traitement.

Fraisse (1967) fait partie des auteurs qui ont imposé le concept du temps dans les recherches en psychologie avec le développement des travaux sur la chronopsychologie, la chronobiologie et la perspective temporelle. Ces travaux reposent sur deux approches du temps. La première est l’approche socio-économique du temps dans laquelle le temps est quantifiable et divisible. Il est linéaire et peut s’évaluer par le biais d’instruments tels que le chronomètre, l’horloge, le calendrier, etc. Dans cette ligne de pensées des auteurs ont montré que les processus psychologiques peuvent fluctuer en fonction du temps (moment de la journée) (Méité, 2009 ; Testu, 1994). En psychologie de la santé également, la durée du traitement est citée parmi les facteurs susceptibles d’influencer l’adhésion thérapeutique chez des patients (Chastaing, Misery et Schollhammer, 2011 ; Dujardin et Roussignol, 2010 ; Golin cité par Mupendwa et Ntokamunda 2009 ; Zarski, Leroy et Hilleret, 2007). Quant à la seconde orientation, elle fait référence à l’approche qualitative ou psychologique du temps. Ici, le temps c’est le vécu. Il est individuel. C’est ce vécu qui est appelé la perspective temporelle (voir Thiebaut (1998) pour une revue). Les points de vue concernant la perspective temporelle se rapportent aux idées de Lewin (1942). Selon cet auteur, l’individu évolue dans un espace de vie, cet espace n’a pas pour limite les seuls éléments que considère l’individu dans une situation actuelle (le présent), mais s’étend aussi à ceux du futur et du passé. C’est ainsi qu’« un individu va décider de se comporter de telle ou telle manière face à une situation donnée soit en se remémorant ses expériences passées, positives ou négatives, soit en élaborant des anticipations et des attentes concernant le futur, soit en se concentrant sur les caractéristiques de la situation présente dans une attitude de résignation ou de recherche de sensations » (Zimbardo et Boyd, cité par Apostolidis et Fieulaine, 2004).

Le rapport au temps tel que présenté a été identifié comme un facteur fondamental dans les comportements et pratiques mises en œuvre et les représentations mobilisées face à la maladie et les prescriptions médicales (Apostolidis et Fieulaine, 2004 ; Pelard, Apostolidis, Ben Soussan et Gonçalves, 2008 ; Tap, Tarquinio et Sordes-Ader, 2002 ; Tieffi, Méité, Kanga, Achi et N’Guessan, 2012). Le plus souvent, c’est la dimension future qui mise en cause. Ainsi, on a pu montrer, par exemple, que les individus présentant des troubles graves de maladies mentales sont totalement détournés du futur (Schlosberg, cité par Thiébaut, 1998). D’autres travaux ont pu établir un lien entre la perspective future et la perception de la santé (Bouffard et Bastin, 1992). Cependant, jusqu’à présent, il semble que l’adhérence thérapeutique n’a pas été examinée en relation avec la perspective future chez des patients sous ARV de durée de traitement différente. C’est ce que la présente étude se charge d’explorer. Elle propose sur la base des travaux antérieurement évoqués que la durée du traitement et la perspective temporelle future entretiennent à la fois des relations simples et complexes avec l’adhérence thérapeutique chez des patients sous ARV.

2. Méthode

2.1. Participants

L’enquête a concerné 150 individus séropositifs, des deux sexes (52 hommes et 98 femmes), qui suivent un traitement ARV au Centre Hospitalier Universitaire de Cocody, en Côte d’Ivoire, dont l’âge varie entre 22 et 48 ans.

2.2. Instruments

La perspective temporelle future des participants a été évaluée à l’aide des six items de la version courte de l’échelle de temporalité (ZTPI) de Fieulaine, Apostolidis et Olivetto (2006) issue de la validation française de Apostolidis et Fieulaine (2004). Quant au niveau d’adhésion au traitement ARV, il a été estimé par le biais d’un questionnaire construit à cet effet.

2.2.1. ZTPI

La version utilisée est composée de 25 items. C’est une échelle multidimensionnelle auto-administrée permettant de mesurer la perspective temporelle par le rapport aux 3 registres temporels (passé, présent et futur) et l’attitude à l’égard de chacun d’eux. Elle est composée de 5 dimensions: passé positif, passé négatif, présent fataliste, présent hédoniste et futur. Cependant, ce sont les items qui évaluent la dimension Future de la perspective temporelle qui ont été utilisés dans la présente étude compte tenue de l’objectif visé. Ils sont libellés en ces termes :

Item N°1 : « Je fais aboutir mes projets à temps, en progressant étape par étape. »
Item N°2 : « Je fais des listes de choses à faire. »
Item N°3 : « Avant de se donner du bon temps le soir, mieux vaut penser à ce qu’il y a à faire pour le lendemain. »
Item N°4 : « Avant de prendre une décision, je pèse le pour et le contre. »
Item N°5 : « Quand je dois réaliser quelque chose, je me fixe des buts et j’envisage les moyens précis pour les atteindre. »
Item N°6 : « Je crois que la journée d’une personne doit être planifiée à l’avance chaque matin. »

Les sujets sont invités à situer leurs réponses sur une échelle de type Likert à 5 points. Ces réponses permettent de savoir si la dimension Future est étendue ou limitée chez le sujet interrogé.

2.2.2. Questionnaire d’adhésion au traitement ARV

Il a été conçu sur la base des travaux de Baudrant-Boga (2009), Mupendwa et Ntokamunda (2009) et de Tourette-Turgis et Rébillon (2001). Il porte sur les aspects suivants : la connaissance du traitement, le jugement porté sur le traitement, la compréhension du sens des prises de médicaments et le respect des prescriptions, la régularité aux rendez-vous, l’arrêt du traitement. En fonction des réponses apportées par le patient, celui-ci est qualifié comme ayant un niveau d’adhésion élevé ou bas.

3. Résultats

Les résultats sont présentés dans des tableaux et leur significativité est testée à l’aide du khi-deux (ᵪ2). Il s’agit d’abord du lien entre la durée du traitement et la perspective temporelle future, ensuite de la relation entre la durée du traitement et de l’adhésion thérapeutique, et enfin du rapport entre la perspective temporelle future et l’adhésion au traitement.

3.1. Durée du traitement et perspective temporelle future

Le tableau 1 montre qu’il y a une relation significative entre la durée du traitement des patients et leur perspective future. Spécifiquement, les patients qui commencent le traitement ARV ont une perspective future étendue comparativement à ceux qui ont déjà plus de 5 ans de traitement (ᵪ2 = 18,51, P<.05).

Tableau 1 : Répartition des effectifs des patients en fonction de la durée du traitement et de leur perspective temporelle (PT).

PT future

PT limitée PT étendue

Durée du traitement

Moins d’un an Effectif 4 34 38
% 10,5% 89,5% 100,0%
1 à 5 ans Effectif 31 44 75
% 41,3% 58,7% 100,0%
Plus de 5 ans Effectif 21 16 37
% 56,8% 43,2% 100,0%
Total Effectif 56 94 150
% 37,3% 62,7% 100,0%
2 = 18,51, P<.05 significatif


3.2. Durée du traitement et adhésion thérapeutique

Le tableau 2 montre qu’il existe un lien significatif entre la durée du traitement des patients et leur adhésion thérapeutique. En clair, en début de traitement aux ARV, les patients ont un niveau d’adhésion élevé par rapport à ceux qui ont plus de 5 ans de traitement (ᵪ2 = 19,46, P<.05).

Tableau 2 : Répartition des effectifs des patients en fonction de la durée du traitement et de leur niveau d’adhésion.

Niveau d’adhésion

Total

Niveau d’adhésion élevé Niveau d’adhésion bas

Durée du traitement

Moins d’un an Effectif 30 8 38
% 20,0% 5,3% 25,3%
1 à 5 ans Effectif 31 44 75
% 20,7% 29,3% 50,0%
Plus de 5 ans Effectif 12 25 37
% 8,0% 16,7% 24,7%
Total Effectif 73 77 150
% 48,7% 51,3% 100,0%
2 = 19,46, P<.05 significatif


3.3. Perspective temporelle future et adhésion thérapeutique

Le tableau 3 indique que le lien pressenti entre la perspective future et l’adhésion thérapeutique des patients n’est pas significatif (ᵪ2 = 2,06, P<.05). Cela signifie que la perspective temporelle ne peut être prise comme une variable intermédiaire entre la durée du traitement et l’adhésion thérapeutique avec les ARV chez les patients.

Tableau 3 : Répartition des effectifs des patients en fonction de la perspective temporelle future et de leur niveau d’adhésion.

Niveau d’adhésion

Total

Niveau d’adhésion élevé Niveau d’adhésion bas

Perspective Temporelle future (PT)

PT furure limitée Effectif 23 33 56
% 41,1% 58,9% 100,0%
PT furure étendue Effectif 50 44 94
% 53,2% 46,8% 100,0%
Total Effectif 73 77 150
% 48,7% 51,3% 100,0%
2 = 2,06, P<.05 non significatif


3.4. Perspective temporelle future et adhésion thérapeutique élevée

Le tableau 4 montre que les patients de niveau d’adhésion élevé se retrouvent majoritairement dans le groupe d’individus ayant une temporalité future étendue (ᵪ2 = 9,99, P<.05).

Tableau 4 : Répartition des effectifs des patients en fonction du niveau d’adhésion élevée (NAE) et de leur tendance étendue ou limitée de la perspective temporelle future.

Effectif observé Effectif théorique Résidu
NAE PT limitée 23 36,5 -13,5
NAE PT étendue 50 36,5 13,5
Total 73

2 = 9,99, P<.05 significatif


En somme, le lien simple entre la durée du traitement et le niveau d’adhésion thérapeutique chez les patients sous ARV est vérifié. Le rapport simple entre la durée du traitement et la perspective temporelle future est également vérifié. Cependant, la perspective temporelle future n’est liée à l’adhésion thérapeutique que si l’on considère uniquement les niveaux élevés.

4. Discussion

L’objectif de l’étude était d’examiner dans une perspective différentielle l’adhérence thérapeutique chez des patients sous ARV dont la durée de traitement et la perspective future ne sont pas identiques. Les résultats indiquent globalement que la durée du traitement et la perspective future sont des variables pertinentes dans l’examen de l’adhésion thérapeutique chez les patients sous ARV.

Les observations faites à propos de l’adhésion thérapeutique aux ARV en rapport avec la durée de traitement vont dans le sens de celles effectuées par Golin cité par Mupendwa et al. (2009) et Mupendwa et al. (2009). Ces travaux indiquent des taux très élevés d’adhésion chez des personnes infectées au VIH quel que soit le degré de leur maladie en début de traitement. Ce phénomène est appelé « starting medication event » par Golin.

Les travaux de Chastaing et al. (2011), Dujardin et al. (2010), et Zarski et al. (2007) portant sur d’autres affections corroborent aussi les résultats de la présente étude. En effet, dans une recherche portant sur l’adhésion au traitement dans les dermatoses chroniques, Chastaing et al. (2011) prouvent que l’adhésion thérapeutique s’inscrit dans la durée et doit être renégociée lors de la prise en charge. Dujardin et al. (2010) s’inscrivent dans cette même perspective avec les résultats de leur étude. Dans leur conclusion, ces auteurs réaffirment que l’adhésion du patient à son traitement est gage du succès thérapeutique. Ils montrent que les taux de mauvaises adhésions thérapeutiques dans les maladies chroniques peuvent atteindre les 75% en l’absence de suivi. Parmi les facteurs que ces auteurs incriminent, la durée du traitement occupe une place de choix. Zarski et al. (2007) arrivent aussi à une conclusion similaire dans le traitement de l’hépatite virale chronique C. Ils observent sur un échantillon de 11 000 patients 5% de cas d’arrêt du traitement à 6 mois et 13 à 16% de cas à 48 semaines.

Par ailleurs, la relation entre la durée du traitement et la perspective temporelle future mise en évidence dans l’étude n’est pas un fait du hasard dans la mesure où Fieulaine, Apostolidis et Olivetto (2006) l’ont déjà prédit. Ils pensent que les différences de perspective temporelle chez les individus proviendraient des expériences traversées par ceux-ci, notamment celles relatives aux maladies.

Un autre aspect de l’étude est d’avoir prouvé que l’adhésion thérapeutique élevée est généralement liée à la perspective future étendue. Ce lien indique l’intérêt de cette composante de la personnalité de l’individu dans le suivi du traitement et l’amélioration de l’état de santé prouvé par de récents travaux (Apostolidis et Fieulaine, 2004 ; Pelard, Apostolidis, Ben Soussan et Gonçalves, 2008 ; Tap, Tarquinio et Sordes-Ader, 2002 ; Tieffi, Méité, Kanga, Achi et N’Guessan, 2012).

Au regard de ces informations qui peuvent avoir des applications dans le domaine médical, il importe que d’autres études soient menées en vue de conforter les résultats acquis ou les relativiser. C’est le lieu de préciser, qu’étant donné que la présente étude n’a pu établir de lien formel entre la perspective temporelle et le niveau d’adhésion, l’utilisation des 13 items de la dimension future de la version longue de la ZTPI de Apostolidis et Fieulaine (2004) semble s’imposer. Cette précaution méthodologique permettra d’évaluer la perspective temporelle future avec plus items, et ainsi donner plus de chance de cerner ce phénomène.

Conclusion

Le VIH/SIDA fait partie des pathologies dont la gestion nécessite une prise en charge à la fois médicale et psychologique dans le but de mobiliser toutes les ressources du patient afin d’optimiser les effets du traitement. C’est pourquoi de plus en plus les équipes médicales ont besoin de données provenant de recherches diverses dans des domaines aussi vairés que possible. C’est dans ce cadre que la présente étude apporte sa contribution. Elle confirme, comme cela l’a été prouvé par certains travaux, que la durée du traitement influence l’adhésion thérapeutique chez les patients sous ARV. Elle suggère qu’une attention particulière soit accordée aux patients qui ont déjà plusieurs années de traitement (plus de 5 ans), car c’est dans ce groupe que les patients ont des niveaux d’adhésion les plus faibles. Cette attention pourrait consister, par exemple, à reprendre tout le processus qui a conduit à leur adhésion au traitement à travers des séances d’écoute régulières.

En outre, en prouvant que ce sont les patients caractérisés par une perspective temporelle étendue qui possèdent généralement un niveau d’adhésion thérapeutique élevée, l’étude suggère aux équipes médicales de tenir compte de la perspective future des malades dans la prise en charge. L’évaluation de la perspective temporelle des patients peut permettre d’identifier les patients dont l’adhésion thérapeutique serait incertaine.

Références bibliographiques

APOSTOLIDIS, T. et FIEULAINE, N. (2004) : « Validation française de l’échelle de temporalité ». Dans la Revue Européenne de Psychologie Appliquée n°54 : 207-217.
BASZANGER, I. (1986) : « Les maladies chroniques et leur ordre négocié ». Dans la Revue Française de Sociologie, n°XXVII : 3-27.
BAUDRANT-BOGA, M. (2009) : Penser autrement le comportement d’adhésion du patient au traitement médicamenteux : Modélisation d’une intervention éducative ciblant le patient et ses médicaments dans le but de développer des compétences mobilisables au quotidien. Application aux patients diabétiques de type 2. Thèse de Doctorat, Université Joseph Fourier-Grenoble 1. EDSCE-Ingénierie pour la santé, la cognition et l’environnement.
BAUDRANT-BOGA, M., Holtzmann, J., Allenet, B., Debeauchamp, I. et Giraud-Baro, E. (2009) : « L’adhérence thérapeutique vue sous l’angle d’une « habileté sociale » : Application à une population de patients atteints de schizophrénie ». Dans le Journal de Pharmacie de Belgique, n°3 : 91-98.
BELTZEZ, N., SABONI, L., SAUVAGE, C. et SOMMEN, C. (2001) : Connaissances, attitudes, croyances et comportements face au VIH en Ile-de-France en 2010. Situation en 2010 et 18 ans d’évolution. Observatoire régional de l’Ile-de-France.
BOUFFARD, L. et BASTIN, E. (1992) : « La perspective future, facteur de santé mentale chez les personnes âgées ». Dans Santé Mentale au Québec, vol 17, n°2 : 227-249.
CHASTAING, M., MISERY, L. et SCHOLLHAMMER, M. (2011) : « A propos de l’adhésion au traitement dans les dermatoses chroniques ». Dans la Revue de Médecine Interne, vol 32, n°5 : 314-318.
DELFRAISSY, J.-F., (2004) : Prise en charge thérapeutique des personnes infectées par le VIH. Recommandations du groupe d’experts. Ministère de la Santé et de la Protection Sociale, République Française. http://www.actupparis.org/IMG/pdf/rapportDelfraissy2004.pdf.
DUJARDIN, F. et ROUSSIGNOL, X. (2010) : « L’adhésion du patient à son traitement, une difficulté thérapeutique méconnue ». Dans la Revue de Chirurgie Orthopédique et Traumatologique, vol 96, n°8 : 1018-1022.
FIEULAINE, N., APOSTOLIDIS, T., et OLIVETTO, F. (2006) : « Précarité et troubles psychologiques : l’effet médiateur de la perspective temporelle ». Dans l
es cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, n°72 : 51-64.
FRAISSE, P. (1967) : Psychologie du temps. Paris : PUF.
GALAND, C., SALÈS-WUILLEMIN, E. et AMIEL, P. (2010) : « Attitudes et représentations dans l’adhésion au traitement adjuvant d’hormonothérapie chez des patientes suivies pour un cancer du sein non-métastatique ». Dans la Revue Internationale sur le Médicament, n°3 : 117-160.

KANGA, K. B. (sous presse) :
Les obstacles à l’adhésion au traitement du VIH/SIDA chez des enfants séropositifs sous ARV en Côte d’Ivoire. Centre Ivoirien d’Etude et de Recherche en psychologie Appliquée (CIERPA), Université de Cocody-Abidjan Côte d’Ivoire.
LEWIN, K. (1942): “Time perspective and moral”. In G. Watson (Ed.), Civilian morale (pp. 48-70). New York: Houghton Mifflin.

MÉITÉ, A. (2009) : Approche chronopsychologique de la conduite automobile. Effet du moment de la journée sur les performances attentionnelles et de conduite simulée selon l’âge, le sexe et la typologie des conducteurs. Ecole Doctorale : Santé, Sciences, Technologie. EA 2114 : Psychologie des âges de la vie. Université François-Rabelais, Tours.
MUPENDWA, B-P. et NTOKAMUNDA, J-L. K., (2009) : « Niveau d’adhésion et problèmes inhérents chez des malades VIH/sida sous traitements ARV : cas de la clinique « MSF/Hollande » de Kadutu (République Démocratique du Congo) ». Dans Cahiers Santé, vol 19, n°4, 205-215.
ONUSIDA (2002) : Analyse situationnelle de la discrimination et de la stigmatisation envers les personnes vivant avec le VIH/SIDA en Afrique de l’ouest et du centre.
PELARD, J., APOSTOLIDIS, T., BEN SOUSSAN, P. et GONÇALVES, A. (2008) : « Approche psychosociale du discours de femmes en récidive métastatique d’un cancer du sein : la question de la temporalité ». Dans Bull Cancer, vol 95, n°9 : 859-869.PEPFAR (2008) : « Les ARV sont maintenant gratuits en Côte d’Ivoire ». PEPtalk. Dans la Revue d’Information PEPFAR Côte d’Ivoire, n°4 : 1.
PRICE, P. E. (2008): « Education, psychology and compliance ». In Diabetes Metab Res Rev, n°24 : 101-105.
SARRADON-ECK, A., EGROT, M., BLANC, M.-A., et FAUR, M. (2008) : « Approche anthropologique des déterminants de l’observance dans le traitement de l’hypertension artérielle ». Dans Pratiques et organisation de soins, vol 39, n°1 : 3-12.
SOW, K., et DESCLAUX, A. (2002) : « L’adhésion au traitement antirétroviral ». In A. Desclaux, I. Lanièce, I. Ndoye et B. Taverne (Eds), L’Initiative Sénégalaise d’accès aux médicaments antirétroviraux, analyses économiques, sociales, comportementales et médicales (pp. 129-139). Paris : ANRS.
TAP, P., TARQUINIO, C., et SORDES-ADER, F. (2002) : « Santé, maladie et identité ». In G. N. Fischer (Ed.), Traité de Psychologie de la Santé (pp. 135-161). Dunod : Paris.
TESTU, F. (1994) : « Quelques constantes dans les fluctuations journalières et hebdomadaires de l’activité intellectuelle des élèves en Europe ». Dans Enfance, n°4 : 389-400.
THIEBAUT, E. (1998) : « La perspective temporelle, un concept à la recherche d’une définition opérationnelle ». L’Année Psychologique, n°98 : 101-125.
TIEFFI, H. G. R., MÉITÉ, A., KANGA, K. B., ACHI, E. N. et N’GUESSAN, A. G. (2012) : « Perspective temporelle et adhésion au traitement médical chez des patients sous antirétroviraux ». XXe Journées internationales de Psychologie Différentielle, du 27 au 29 juin 2012 à Rennes en France.
TOURETTE-TURGIS, C. et RÉBILLON, M. (2001) : Accompagnement et suivi des personnes sous traitement antirétroviral. Edition comment dire.
UNFPA Côte d’Ivoire (2009) : La situation du VIH/SIDA en Côte d’Ivoire. http://cotedivoire.unfpa.org/2009/05/12/828/vihsida/
VAILLANT, M-F. (2008) : « L’éducation thérapeutique : Prétexte à échanges informationnels sur la maladie ». Colloque « La santé dans l’espace public » organisé par le Groupe de Recherche sur les Enjeux de la Communication (Gresec) à Rennes, 22 et 23 octobre 2008.
VERVLOET, D. (2006) : « De l’observance à l’adhésion thérapeutique ». Dans Expression autour de l’immunothérapie spécifique, n°24 : 4-6.
ZARSKI, J. P. LEROY, V. et HILLERET, M. N. (2007): « Tolérance et adhérence au traitement de l’hépatite C ». Dans Antibiotiques, vol 9, n°4 : 221-225.

Contact

thgrfr@yahoo.fr