Psychologie du consommateur : pourquoi et comment l’horreur fait vendre ?

Romain Cally
Docteur en Sciences de Gestion | Psychologie du consommateur

Il ne se passe pas une semaine sans qu’un film d’horreur ne sorte sur nos écrans de cinéma ou qu’une émission de télévision fasse un reportage sur une affaire criminelle. L’horreur a bonne presse, c’est un fait avéré dans notre société. Toutefois, nous pouvons nous questionner : pourquoi intéresse-t-elle tant le public? Pourquoi nous fascine-t-elle ? Finalement, ne sommes-nous pas des consommateurs de violence et d’horreur ?

La curiosité morbide : un vilain défaut ?

Il nous est tous déjà arrivé de ralentir en voiture pour regarder de plus près un accident de la route. On peut alors s’interroger : est-ce un comportement « normal »? Comme le dit le psychologue Louis Brunet (2013), cette curiosité pour le morbide n’a rien de mauvais en soi, «quand on roule sur une autoroute et qu’on passe devant un accident, on regarde. C’est normal qu’on soit fasciné. La mort, la violence, la destruction font partie de nos angoisses naturelles. Nous sommes tous mortels, tous sujets à la violence et aux accidents. On pourrait fermer les yeux quand on voit quelque chose de violent. D’ailleurs, certains le font. Mais regarder est une façon de chercher à comprendre et à maîtriser nos angoisses». Donc, face à des faits divers tragiques et dramatiques, nous éprouverions un sentiment ambigu et paradoxal : d’un côté, nous compatissons avec la souffrance des victimes et, de l’autre, nous ressentons également un certain plaisir. C’est précisément ce que rappelle Thierry Jandrok (2009) quand il écrit que « les malheurs des autres ont une fonction rassurante pour tout un chacun ». En fait, quand nous observons un accident de la route, dans l’instant, nous jouissons d’être encore «encore en vie ». Notre sentiment d’être vivant est alors exalté.

Jouer sur la violence et l’horreur pour convaincre

En psychologie, cette curiosité pour le morbide est connue et analysée depuis longtemps. C’est un sentiment « d’attraction – répulsion » irrationnel, mais qui existe bel et bien. Les pouvoirs publics et la Sécurité Routière profitent, amplement de ce sentiment pour divulguer des messages de prévention. Depuis plusieurs années, ils ont choisi de mettre la « violence » et « l’horreur » au centre de leurs campagnes. En fait, la perception des conducteurs se fait en deux temps : la « curiosité morbide » pousse dans un premier temps le conducteur à regarder l’image « choc ». Elle capte son attention. Ce n’est qu’ensuite, qu’il va se focaliser sur le message de prévention qui est délivré. Par ces images, les associations de préventions routières espèrent marquer les esprits sur le long terme.

C’est une stratégie largement partagée par les publicitaires : pour eux le message de prévention doit être exprimé avec force pour être efficace. Dans le cas contraire, ledit message prend le risque d’être « noyé » dans la masse de messages publicitaires en tout genre. En utilisant la violence et l’horreur, les professionnels jouent sur l’émotionnel, la peur d’une mort brutale mais aussi sur la responsabilité du conducteur.

A contrario, pour certains spécialistes, ces messages « chocs » n’auraient pas l’efficacité escomptée sur les individus. En fait, ils perdraient en persuasion, car les sujets auraient tendance à se protéger davantage des messages de prévention et non des risques évoqués dans lesdits messages (cf. Chabrol et Diligeart, 2004).

Pourquoi regarder un film d’horreur ?

Il existe diverses raisons qui expliquent cette attirance du public pour ce genre de cinéma. Nous avons répertorié ci-dessous celles qui nous paraissent incontournables :

« Moi, je regarde des films d’horreur parce que j’aime la sensation que procure la peur (une petite boule dans le ventre, etc, etc.), c’est la même chose pour les attractions fortes, parce que si on n’aimait pas se faire peur, personne n’irait dedans. » (Parole d’un internaute). Pour un grand nombre de personnes, les films d’horreurs seraient donc un moyen d’avoir peur par procuration. Nous voulons que le film nous affecte émotionnellement. Ainsi, lorsque nous visionnons des films d’horreur, lisons des romans de Stephen King et/ou regardons des émissions sur les « grands criminels », c’est en quelque sorte pour «compenser», pour vivre par procuration une expérience inédite. Ce qui motive le spectateur, c’est la recherche d’une excitation, le plaisir des réactions physiologiques (comme la montée d’adrénaline), la recherche d’un divertissement inhabituel ou encore d’une échappatoire aux tracas du quotidien.

Pour certains psychologues, le cinéma horrifique aurait aussi une fonction d’atténuation de « l’anxiété face à la mort » [1]. Celle-ci aurait tendance à devenir temporairement moins intense. La mort prédomine dans le film d’horreur, mais elle crée paradoxalement une jouissance, la jouissance d’être « encore en vie » en sortant du cinéma. Observer des malheurs, drames, accidents, catastrophes au cinéma accentuent consciemment ou inconsciemment cette jouissance, laquelle atténue notre anxiété face à la mort.

Nous devons également aborder le possible effet cathartique qu’offre la consommation de films d’horreur. Pour ses partisans, avoir peur nous permettrait de nous défouler et de nous décharger de nos mauvaises humeurs quotidiennes. Une sorte de « vidange d’un trop plein émotionnel » comme aime le dire Serge Tisseron (2003). Suivant cette logique, la catharsis « émotionnelle » peut assurer un apaisement par le seul fait que le spectateur est confronté à un spectacle dans lequel des actes violents qu’il peut désirer en secret sont accomplis. Plutôt que de s’engager lui-même dans une interaction agressive, le sujet l’observe par l’intermédiaire des personnages d’un film (cf. Leyens, 1977).

Par ailleurs, dans une société qui condamne et prohibe la violence, on peut également dire que les films d’horreur apparaissent comme des sortes de subversions par lesquelles les spectateurs ressentiraient la sensation de transgresser des lois et des codes établis. Cette sensation de transgression peut contribuer à expliquer l’attirance des spectateurs pour des films présentant des éléments marginaux voire interdits dans la vie réelle.

Cinéma horrifique et « sadomasochisme spectatoriel »

Le cinéma d’horreur fonctionne selon le procédé « d’attraction-répulsion »: d’une part, le désir de regarder et d’autre part, la répulsion face au sujet du regard (rappelant les théories sur l’Éros et le Thanatos de Freud, sur l’interrelation entre pulsion de vie et pulsion de mort).

D’après Edward Lowry, le spectateur du film d’horreur est un spectateur à tendance sadomasochiste : ce dernier est placé dans une position où le spectacle de l’horreur sert la satisfaction d’un désir assumé (le spectateur sait pertinemment que le film tentera de le terroriser). Il est, à la fois, horrifié et fasciné par le spectacle de l’horreur qui s’offre à lui. Autant il peut s’identifier aux souffrances de la victime et avoir de l’empathie pour elle ; autant il peut prendre plaisir à regarder le spectacle de l’horreur ainsi que la déchéance de cette dernière. Ce « sadomasochisme spectatoriel» existerait dans le cinéma d’horreur et en particulier, dans la catégorie « slasher » [2] et « gore » [3].

Pour les professionnels du marketing (nous le verrons plus en détail dans les paragraphes suivants), un film d’horreur au cinéma peut devenir un thème de publicité prolifique. L’objectif premier étant de « capter » l’attention du public. En 2011, avec le slogan « Venez comme vous êtes » (en anglais « comme as you are »), Mac Donald’s a choisi d’inviter le tueur du film « Scream » au fast-food.

Le message publicitaire se veut explicite tout en mélangeant humour noir et subversion. Sur l’affiche, on peut voir le serial-killer délaisser momentanément son téléphone portable, pour déguster un « burger ». Derrière lui, une jeune femme au téléphone, surement sa future victime semble très inquiète. Les cibles visées par les publicitaires sont les adolescents et les cinéphiles qui ont été marqués par ce film lors de sa sortie.

Le cinéma horrifique, en s’appuyant sur des ressorts psychologiques puissants, sans la créer, encourage la fascination des individus pour l’horreur. Mais où commence la fascination ?

Comme le souligne Richard Béguin (2001) : « …l’horreur n’a cesse de se banaliser, et, par la même occasion, d’atteindre de nouveaux sommets intolérables. Il n’y a d’horreur que dans ce qui trouble, dégoute et nous échappe ». Les faits-divers transcrivent bien cette fascination. Ils se prêtent particulièrement bien au « story-telling » de l’information. Ils apparaissent comme un feuilleton trépidant, avec des mystères, des « pseudo-révélations », des suppositions, des rebondissements. L’évènement dramatique prend ainsi l’apparence d’une fiction : on peut prendre en référence l’attentat terroriste perpétré par des extrémistes religieux contre le journal satirique « Charlie Hebdo » en 2015. Lors de ce fait-divers tragique où plusieurs personnes avaient trouvé la mort dont plusieurs agents de Police. Les médias d’informations avaient alors multiplié les émissions et reportages pendant des jours voire des semaines sur l’affaire. Le public pouvait suivre en direct, chaque jour, le déroulement de l’enquête et connaître, minute après minute, les dernières avancées de la Police. Dans une vidéo amateur, on pouvait même visionner l’exécution sommaire d’un policier par les terroristes dans une rue à Paris. Cette vidéo avait reçu des centaines de milliers de « vues » sur Internet avant d’être reprise et diffusée par les médias du monde entier. Incontestablement, le fait-divers tragique intéresse et fascine au-delà du raisonnable, amplement aidé, il faut l’avouer, par les médias d’information.

Sommes-nous des consommateurs de violence et d’horreur ?

Que l’on veuille ou non, la violence et l’horreur fascinent, que ce soit dans le cinéma et/ou dans la réalité. Aujourd’hui, on ne compte plus le nombre de livres, de films, de séries, ou encore de documentaires réalisés sur ces thèmes. Il n’y a qu’à voir la multitude des séries documentaires sur les affaires criminelles diffusées à la télévision, comme « Faites entrer l’accusé », « Enquête criminelles », « Crimes » ou encore « Présumé innocent ». En 2011, le magazine « Télé 2 semaines » avait comptabilisé le nombre de « morts » que l’on pouvait voir à la télévision, en première partie de soirée : le bilan est accablant, avec 37 morts et une dizaine de blessés et cela, en une semaine, sur 21 épisodes de séries policières diffusées sur les grandes chaînes françaises. La question que l’on peut légitimement se poser est : ne se dirige-t-on pas vers une banalisation du « meurtre » à la télévision et au cinéma ? D’après Blandine Kriegel, lorsqu’une « personne est exposée à la violence télévisuelle, les effets physiologiques immédiats sont de même nature que si cette personne était exposée à une situation de violence réelle (…). A long terme, l’exposition fréquente à des scènes de violence contribue à une désensibilisation du spectateur qui s’habitue à la violence ». Malgré tout, il est difficile d’établir une relation directe entre le comportement des acteurs à l’écran et celui des spectateurs dans la réalité. Comme le dit Serge Tisseron, il faut surtout éviter de faire des raccourcis, « ce n’est pas parce qu’on voit au cinéma des gens méchants qu’on a envie de l’être, pas plus que c’est parce qu’on voit des gens gentils qu’on a envie de le devenir! ». Dans la très grande majorité des cas, il n’y a aucun rapport avec l’agressivité réelle, le cinéma et la télévision sont compris comme un jeu, un divertissement, une expérience esthétique et culturelle.

Pourquoi les Serial-Killers fascinent?

Plus une histoire criminelle est entourée de scandales et d’horreurs, et plus elle intéresse les médias, précisément parce qu’elle captive le public. Les Serial-Killers [4]n’échappent pas à cette tendance. Ils sont devenus des personnages récurrents de nos fictions, qu’ils soient historiques comme « Jack L’Éventreur » ou imaginaires comme « Hannibal Lecter ». Ils ont envahi littéralement le petit écran, la série « Dexter », « Criminal Minds », « Hannibal » ou encore « The Following », sont des exemples parmi d’autres.

Alors, pourquoi les serial-killers fascinent autant le public? Selon le chercheur américain David Schmid, le Serial-Killer représente le vecteur de frayeur et de danger envers la communauté. Il renforce cette même communauté et cela, en lui donnant une identité commune, à savoir : « nous ne sommes pas comme lui ». Autrement dit, le Serial-Killer est cet être « anormal » qui rassure tout un chacun sur sa propre « normalité ».

Par ailleurs, on retrouve dans cette fascination, une notion bien connue en psychologie, à savoir : « l’ambivalence affective » [5]. En effet, d’une part, nous condamnons moralement les criminels pour leurs actes. Mais d’autre part, précisément parce qu’ils vont au bout de leurs pulsions de destruction, de leurs fantasmes, de leurs folies meurtrières, ils nous fascinent. Il est important de rappeler que c’est généralement de la fascination et non de l’admiration que ressentent les spectateurs face aux Serial-Killers [6]. Ce qui intéresse principalement le spectateur, c’est le fantasme que crée leur personnalité complexe, leur « logique », car cette dernière nous échappe et nous interpelle.

Il faut avouer que le cinéma a contribué à faire de ces Serial-Killers des sortes de « héros », certes négatifs, mais supérieurs [7] d’une certaine manière au « commun des mortels ». Pourtant, les Serial killers du cinéma, comme le dit Daniel Zagury, n’ont rien à voir avec ceux qu’on trouve dans le monde réel. Dans la fiction, ils sont vêtis d’une complexité « attirante » dans leur psychologie, et fascinent davantage que les hommes censés les mettre hors d‘état de nuire.

Le cinéma d’horreur… une libération pulsionnelle ?

Le cinéma nous plonge dans un monde imaginaire, comme le dit Geneviève de Taisne, qui « peuvent mettre en scène nos pulsions les plus inavouables pour notre surmoi » [8]. Prenons un exemple : dans le film « American Nightmare » de James DeMonaco, les spectateurs peuvent « s’imaginer » faire des choses atroces et/ou être dans la peau des personnages en tant que victimes ou bourreaux. Rappelons brièvement le scénario : l’histoire se passe aux Etats-Unis dans un futur proche. « La purge » a été instaurée depuis 10 ans et a redressé spectaculairement le pays de la crise économique qui avait sévit. Son principe est terrifiant : autoriser une fois dans l’année, l’espace de 12 heures, tous les crimes mineurs et majeurs, meurtres y compris, afin de permettre aux citoyens de relâcher en toute légalité leurs pulsions noires les plus enfouies et les plus (auto-)destructrices, pour en quelque sorte, se « purifier ». Une « catharsis » censée libérer les individus qui, une fois leurs pulsions assouvies, seront sages comme des images le reste de l’année.

De telles scènes extrêmes sont souvent mises en scène au cinéma comme le souligne Serge Tisseron, car « elles mobilisent chez certains spectateurs la jouissance de s’identifier à un héros qui prend du plaisir – même si c’est à tuer – et, chez d’autres une compassion pour les victimes ». Aussi, en nous identifiant à de tels personnages, cela nous permet de « vivre » des aventures, de ressentir des sentiments, des émotions que nous n’oserions jamais ressentir dans le réel, car nous savons, précisément, que nous sommes dans une fiction. Pour reprendre la formule d’Alfred Pottier (1957), « au cinéma on tue avec le meurtrier et on expire avec sa victime ». Même si, après le film, nous sommes immédiatement rattrapés par la réalité.

Dans bien des cas, les scénaristes font de ces « héros/assassins », des personnages héroïques dotés d’un charisme « électrisant ». Ils sont souvent attachants et même lorsqu’ils tuent, ils ne le font pas seulement pour assouvir leurs pulsions meurtrières. Ils le font, dans certains cas, dans un but moral.

Si l’on regarde la série « Dexter », on peut aisément dire qu’elle bouscule notre conception de la morale car elle opacifie la frontière entre « bien » et « mal ». En effet, les scénaristes ont cherché à faire de leur personnage un individu tourmenté entre ses instincts meurtriers et la volonté de faire quelque chose de « juste ». Ce qui rend ce tueur « attachant », c’est qu’il n’est pas dépourvu de morale. Il contrôle ses pulsions morbides grâce à un « code », une sorte de règle éthique. Ainsi, nous voyons notre morale « repensée » par ce Serial-Killer, à l’allure de justicier.

Un autre exemple peut être donné par le film « Saw » : le Serial-Killer dénommé le «tueur au puzzle» punit ses victimes, mais pour des raisons qui peuvent paradoxalement se «concevoir» pour le spectateur. En effet, dans la saga, le Serial-Killer ne tue pas directement « de ses mains », il crée ce qu’il appelle des «jeux»: il place ses victimes dans des situations dramatiques et mortelles représentant symboliquement ce qu’elles doivent faire pour se libérer de ce dont elles souffrent dans la vraie vie. Par exemple, une toxicomane devra se battre pour survivre afin d’expier ses erreurs ; un chirurgien infidèle devra se couper un pied pour sauver son épouse et sa fille ; un voyeur devra se regarder mourir lentement, etc. Par ce moyen, le Serial-Killer souhaite que sa victime fasse une introspection personnelle et lui prouve son attachement pour la « Vie » : on pourrait dire que le Serial-Killer offre à ses victimes une sorte d’expérience cathartique.

L’horreur et son utilisation en psychologie du consommateur

Nous allons voir à présent, qu’en psychologie du consommateur, l’horreur et la violence peuvent servir comme critère de différenciation d’un produit ou une marque sur le marché.

Comme le dit le psychanalyste Guy Laval, « l’homme normal a tout ce qu’il faut dans son équipement psychique pour devenir un assassin ». D’après les psychologues, le phénomène d’identification qui est à l’œuvre dans le cinéma, fait qu’un film n’est jamais neutre, qu’il rentre en résonnance avec l’état émotionnel du spectateur.

Certains personnages de films ont un « potentiel identificatoire » tellement puissant, qu’ils affectent les comportements, les modes d’expression voire les modes de pensée des spectateurs. Comme le dit Geneviève de Taisne (2011), « un film peut aider au dépassement de certains fantasmes qui nous habitent ». Prenons l’exemple du film « V for Vendetta » : ce film met en scène, dans un Londres futuriste, un héros masqué subversif et anarchiste nommé « V » qui se bat contre un régime politique totalitaire et liberticide. Sans entrer dans les détails de l’histoire, le héros effectue divers attentats et attaques meurtrières. Le personnage de « V » est une figure fascinante, ambiguë et paradoxale : à la fois redresseur de torts et hors-la-loi, vengeur et sauveur, héros et meurtrier, violent et romantique, etc. Nul besoin de préciser « l’ambivalence affective » dont peut bénéficier ce personnage auprès du public.

En regardant ce film, on peut se poser la question de l’effet sur les spectateurs d’un discours qui fait l’apologie de la transgression. Doit-on encore respecter les lois et règles d’une société lorsque celle-ci est corrompue? Ce qui s’est produit après la sortie du film semble offrir une réponse à cette question. En fait, il va non seulement se créer un engouement hors norme pour ce personnage mais aussi et surtout, pour le masque utilisé par ce dernier. Celui-ci est devenu un objet dérivé très apprécié par les fans mais pas seulement. D’abord récupéré par les « Anonymous » (mouvement « hacktiviste » se manifestant particulièrement sur Internet), il est maintenant utilisé un peu partout dans le monde par tous les anarchistes et propagandistes de toutes sortes. On le voit émerger sur des forums, sur Internet, dans des manifestations, etc. Un peu partout, il semble être devenu une sorte de symbole permettant d’exprimer une cause : celle de la lutte contre les excès du pouvoir et de l’importance de préserver les libertés individuelles. Chaque année, il se vend des milliers de ces masques à travers le monde.

« Assassin’s Creed » : le jeu qui donne envie d’être… un « assassin »

« Quand tu achètes Assassin Creed, le fantasme premier est de se dire : je veux devenir un assassin !», voilà la parole authentique d’un internaute [9], qui peut interpeller tout un chacun. Cependant, il est essentiel de distinguer entre « l’imitation ludique » qui consiste à « faire semblant » de « l’imitation pour de vrai » qui relève de l’utilisation des images comme modèle de comportement (Tisseron, 2003). Pour Louis Brunet, les enfants font généralement bien la différence entre la fantaisie et la réalité, et, pour eux, le jeu peut être un outil extraordinaire d’équilibre : «Jouer à la violence peut être une façon de composer avec la violence de la vie, de contrôler sa peur. Le jeu peut être un exutoire. Quand on est dans le jeu, dans le comme si, ce n’est pas dangereux. Le problème, c’est que pour certains enfants qui ont un problème à distinguer la fantaisie de la réalité, le jeu n’est pas du jeu et peut stimuler des pulsions violentes. Mais ce n’est pas le jeu qui est en cause. On est alors dans le domaine de la psychopathologie.»

Ce qui est à l’œuvre ici, c’est bien évidemment « l’imitation ludique ». Les joueurs tentent d’assimiler les effets sensoriels, émotifs et moteurs des images grâce à des formes corporelles de symbolisation partagées. Dans le jeu « Assassin’s Creed », l’identification au personnage est particulièrement forte, surtout sur le jeune public. Certains « fans » vont jusqu’à se déguiser comme le Héros du jeu et faire des « mini-films » amateurs sur Internet. Les professionnels du marketing, l’ont d’ailleurs bien compris et ont conçu une multitude de produits dérivés pour satisfaire au mieux les fans.

Quand les zombies envahissent la publicité

On constate depuis quelques années que les « Zombies » ont pris une place étrange dans notre vie quotidienne. En effet, de plus en plus de films de cinéma, de séries télévisées, de livres, de plus en plus de musiques et d’artistes, font des zombies leur fond de commerce.

Des milliers de sites Internet leur sont consacrés et dans la rue, on commence même à voir depuis quelques années, littéralement, des véritables « marches de zombies » (le « Zombie Walk »).

Présent dans la totalité des médias, il était donc logique que la publicité s’y intéresse. Plus ou moins bien exploitée, et à l’aide d’un effet de mode, l’horreur du « zombie » a peu à peu envahi nos espaces publicitaires.

La marque de déodorant « Axe » a toujours aimé manipuler « le sexy » avec beaucoup d’humour. En 2011, pour fêter Halloween, la marque a choisi de faire dans l’horreur avec son spot « Hot girl vs Zombie ».

Le scénario est simple : un zombie s’introduit dans la maison d’une jeune femme. Celle-ci se réveille, le découvre en hurlant et s’enfuit à l’étage, s’enfermer dans sa salle de bain. Le mort-vivant ne tarde pas à en enfoncer la porte et la jeune femme l’asperge alors copieusement du fameux déodorant. Et la, rapidement, la magie opère. Une vidéo fidèle à l’esprit de la marque, qui prétend pouvoir rendre irrésistible n’importe quel homme.

Un personnage de film d’horreur sort d’une affiche publicitaire

A l’occasion de la promotion du film « La malédiction de Chucky », les réalisateurs de l’émission « SBT Oneline » ont eu l’idée d’une caméra cachée pour surprendre les brésiliens attendant à un arrêt de bus. Le canular se présentait de la manière suivante : assis juste à côté d’une affiche promotionnelle, ces derniers étaient soudainement attaqués et poursuivis par la célèbre poupée, sortie directement de l’affiche avec un couteau à la main. Une grande frayeur pour les passants et un bon « coup » marketing pour le film d’horreur puisque la vidéo a fait le « buzz » sur Internet. Cette plaisanterie fait écho à la capacité du cinéma à générer des fantasmes : pendant ce moment de terreur, les passants étaient convaincus que le personnage de fiction, la célèbre « Chucky » était réellement sortie de l’affiche pour venir les agresser.

La peur et son utilisation en publicité

La « peur » a toujours été un thème de publicité très apprécié par les professionnels du marketing. Les auteurs Dunn et Hoegg, de l’Université de Colombie britannique à Vancouver, ont publié dans « Journal of Consumer Psychology » une étude qui démontre qu’un consommateur apeuré est souvent plus attiré vers la marque qu’on lui présente au même instant.

En 2013, à la fois angoissante et brillante, cette publicité pour la marque « Duracell » présentait une poupée assez inquiétante ouvrant la porte de la chambre et se dirigeant en courant vers la petite fille au premier plan. L’accroche « Certains jouets ne meurent jamais » répond parfaitement aux attentes de la marque, c’est à dire des piles qui durent plus longtemps que les autres.


Une application créatrice de cauchemars et de terreurs nocturnes

La chaîne britannique « Horror Channel », à l’occasion de la Nuit de la Terreur qui a eu lieu en février 2014, a mis en place une application pour smartphone téléchargeable sur Internet assez effrayante : le « Night Terror » (« terreur nocturne » en français).

Le concept a de quoi surprendre par son objectif. L’application est basée sur un système de détection de votre cycle de sommeil, notamment du « sommeil paradoxal ». Une fois l’application téléchargée sur le site Internet, l’utilisateur va choisir une histoire parmi les cinq proposées ainsi que le niveau de terreur qu’il désire. A partir de là, durant la nuit, l’application va analyser son cycle de sommeil et proposer un fond sonore particulier qui viendra influencer son « inconscient » et, générer l’apparition de cauchemars voire des terreurs nocturnes. Au réveil, l’application offre la possibilité de partager l’expérience onirique via les réseaux sociaux (Facebook et/ou Twitter). Cette application singulière et horrifique a permis à « Horror Channel » de se faire connaître et de se différencier par rapport à la concurrence et donc, de gagner en visibilité sur le marché, notamment, auprès du jeune public.

Interagir directement avec un film : quand la fiction devient réalité

En 2013, la société de production « 2CFilms », basée aux Pays Bas et en partenariat avec Service2Media, a développé une application pour le film de Bobby Boerman, intitulé « App », qui permet d’interagir en temps réel avec celui-ci. Le film en question raconte l’histoire d’une jeune étudiante en psychologie qui découvre une application nommée « Isis » apparue mystérieusement sur son téléphone portable, et qui va finir par la terroriser. En fait, l’application va détecter certaines longueurs d’ondes suraiguës dans le mixage sonore du film, qui provoquent l’envoi de messages SMS au spectateur et cela, au même moment que ceux reçus par le personnage principal. Elle permet, en outre, d’avoir accès à du matériel supplémentaire comme des scènes inédites et des informations pour approfondir l’univers développé par le scénario. Bref, la spectatrice est alors terrorisée tout comme l’héroïne du film. Autrement dit, l’application offre aux utilisateurs une expérience mémorable : l’horreur coexiste durant le film, à la fois dans la fiction et la réalité.

On peut se dire, que le thème de l’horreur (ou de l’angoisse) est devenu, pour les marketers, une manière originale de se différencier sur le marché, de vendre ou de faire la promotion d’un produit, d’une marque ou encore d’un service. Attirer et captiver coûte que coûte l’attention du consommateur étant l’objectif principal de cette opération.

Durex et la vie d’un Serial-Killer

L’humour noir est fréquemment utilisé en publicité. Ce style humoristique est surtout efficace lorsque l’annonceur est en phase avec sa cible et qu’il n’outrepasse pas les limites du supportable. Ce style d’humour particulier suscite fréquemment l’interrogation chez le spectateur. Il permet souvent de relativiser les sujets les plus délicats (le sexe, la mort, les incidents tragiques…) et s’avère être une véritable arme de subversion. Tout en provoquant la gêne, il pousse au rire et fait hésiter le consommateur émotionnellement : celui-ci est souvent partagé entre le rire et une réaction plus réfléchie, plus rationnelle, plus posée. Cependant, même si l’humour noir est une stratégie efficace pour rendre visible une marque de produits sur le marché, les annonceurs doivent rester vigilants afin d’éviter de choquer les spectateurs. En 2012, la marque « Durex » dans le but de vendre davantage de préservatifs, a réalisé une publicité pour le moins polémique : le thème de la publicité consistait à retracer la vie d’un psychopathe.

La publicité prenait la forme de plusieurs« Flashback » successifs sur la vie d’un criminel. Pour résumer, à 73 ans, on le voit dévaliser une banque ; à 46 ans, il agresse une femme au couteau ; à 18 ans, il est impliqué dans un accident de la route ; à 4 ans, il tue son chat en le mettant dans le four à micro-ondes (la scène a d’ailleurs provoqué l’émoi de nombreux internautes). On remonte alors à la naissance où on apprend que sa mère décède lors de l’accouchement. Et enfin, on arrive au moment fatidique de sa conception, une scène d’amour où on assiste à un échange verbale entre les futurs parents: « Tu as un préservatif ? » demande le père. Réponse de la mère : « Non, pourquoi qu’est-ce qui pourrait arriver de pire ? ». La publicité finit alors sur les paroles « Pour votre protection. Et la nôtre ». Cette publicité a été interdite de diffusion à plusieurs moments de l’année aux Etats-Unis, jugée trop extrême pour être visionnée par des enfants.

Réseaux sociaux et serial-killer : « Take this lollipop »

En 2011, une application sur le réseau social « Facebook » intitulée « Take this lollipop » (littéralement en français, « prends cette sucette ») avait généré un immense « buzz » marketing. Créée par le réalisateur Jason Zada, cette vidéo ne faisait pas la promotion d’un produit, mais d’un site évènementiel éphémère : une sorte de thriller interactif dont l’objectif était de sensibiliser les internautes aux dangers des réseaux sociaux. Elle mettait en garde les utilisateurs du site « Facebook » sur les données personnelles publiées sur le site, en particulier en ce qui concernait la « géolocalisation ». Le principe de l’application était simple: en autorisant le site à se brancher sur votre profil et à partir des informations personnelles enregistrées, une vidéo était générée. Dans la vidéo, digne d’un film hollywoodien, on pouvait voir un Serial-Killer entrain de visionner votre « profil Facebook », vos photos, statuts, activités et données personnelles avant de prendre sa voiture et de se diriger vers votre domicile.

Le meurtre en publicité : un effet « Dexter » ?

En 2011, une marque de lotion nettoyante « Purell » va faire une campagne « choc » et macabre sur le thème du Serial-Killer. L’objectif des publicitaires étaient de créer une polémique autour de la publicité et bénéficier ainsi d’une surexposition médiatique.

Dans ce spot publicitaire, le téléspectateur va avoir droit à une séquence de violence meurtrière digne des meilleurs films de tueurs en série. Le plus étonnant dans ce spot publicitaire reste la « chute » : en effet, après avoir assassiné sa victime, on voit le Serial-Killer transporter des morceaux du cadavre de sa victime, couvert de sang pour les jeter dans une benne à ordures. Mais, une fois son forfait accompli, il prend soin de se désinfecter les mains en utilisant la lotion nettoyante « Purell ». Ce spot publicitaire basé sur le thème du « meurtre » est incontestablement inspiré de la série « Dexter ». Ici, les professionnels du marketing ont surtout cherché à profiter de l’image du héros de cette série pour promouvoir de manière surprenante leur produit. C’est ce que l’on appelle, en psychologie du consommateur, un « effet disruptif » [10].

En conclusion, à la question : « est-ce que l’horreur fait vendre ? ». Au vu des exemples développés dans cet article, on serait tenté de répondre positivement. Comme on peut le voir, l’horreur et la violence sont des thèmes appréciés et prolifiques pour la télévision et le cinéma. A l’heure d’aujourd’hui, la publicité n’échappe pas à cette tendance, la différenciation par l’horreur semble être une stratégie propice et dans certains cas, d’une redoutable efficacité.

Réferénces

1. On peut définir « l’anxiété face à la mort » (AFLM) comme « l’ensemble de réactions affectives négatives, d’intensité variable, provoqué par des idées conscientes et non conscientes relatives à la disparition de soi » (Urien, 2003).
2. Le « slasher » (de l’anglais « slasher movie ») est un genre cinématographique, sous-genre du film d’horreur, mettant en scène les meurtres d’un tueur psychopathe, généralement masqué, qui élimine méthodiquement un groupe de jeunes individus, souvent à l’arme blanche, et sa principale opposante est fréquemment une jeune femme.
3. Le « gore » est un sous-genre cinématographique du cinéma d’horreur, caractérisé par des scènes extrêmement sanglantes et très explicites dont l’objectif est d’inspirer le dégoût au spectateur.
4. Pour Zagury , on « appelle serial killer celui qui tue successivement au moins 3 personnes, avec des intervalles libres, de sang froid et sans mobile apparent ». (p7)
5. Etat de conscience comportant des dispositions affectives contraires. L’ambivalence affective désigne la coexistence d’attitudes affectives opposées vis-à-vis d’un objet, et le plus souvent la coexistence de l’amour et de la haine pour une même personne.
6. Même si, il peut arriver que dans certains cas extrêmes, la fascination va au-delà de la simple curiosité et peut devenir une pathologie (on parle alors d’hybristophilie).
7. On retrouve souvent dans ce type de film, un personnage à l’aspect « invincible », pervers, manipulateur, stratège, qui met « l’autre » en échec, d’abord les victimes, ensuite la police, puis ceux qui tentent de le « comprendre » (psychiatres, médias, public, etc), et in fine, la justice (lorsque le tueur n’a pas pu être appréhendé ou condamné).
8. Rappelons qu’une revendication pulsionnelle ne devient dangereuse que si elle n’est pas canalisée par le Sur-moi et le Moi.
9. Source : www.jeuxvideo.com/…/1-19226-134348-1-0-1-0-mini-spoil-itineraire-d-un- tueur-gate.htm
10. Stratégie publicitaire popularisée par l’agence TBWA consistant à briser les conventions établies sur un marché au moyen d’une idée créatrice, pour libérer une marque de ses carcans et la repositionner sur son marché.

Références bibliographiques

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